L’association rituximab vémurafénib dans les leucémies à tricholeucocytes en rechute
Réf. :HematoStat.net ; 1 (9) : U1
Contexte de l’étude
Les patients ayant une leucémie à tricholeucocytes (HCL) en rechute posent le problème de rechutes de plus en plus chimiorésistantes. En effet, la réponse aux analogues des purines tels que la cladribine ou la pentostatine est de moins en moins profonde et de moins en moins durable au cours de l’histoire de la maladie1,2. En outre, l’utilisation répétée d’analogues des purines est responsable de l’accumulation d’une toxicité médullaire et d’une immunosuppression, majeures. Ainsi, il existe un besoin médical important en molécules efficaces et peu toxiques pour les patients HCL en rechute ou réfractaires (R/R).
La leucémie à tricholeucocytes se caractérise, dans sa forme classique, par la présence de la mutation V600E du gène BRAF dans l’immense majorité des cas, mutation considérée comme un événement définissant la maladie. L’utilisation d’inhibiteurs de BRAF en monothérapie, tels que le vémurafénib, a montré son efficacité et sa bonne tolérance dans deux essais de phase 2 dans l’HCL R/R, avec un taux de réponse globale (ORR) de 91% et de réponse complète (CR) de 35%. Toutefois, il persistait dans la moelle osseuse de ces patients, y compris ceux en CR, une maladie résiduelle (MRD) et les patients finissaient par rechuter, avec une survie sans rechute (RFS) médiane après la fin du traitement de seulement 9 mois3.
Le rituximab est lui aussi utilisé dans l’HCL R/R en monothérapie, avec des réponses souvent partielles et transitoires. Les cellules leucémiques résistantes au vémurafénib gardent une forte expression du CD20. L’hypothèse serait donc celle d’une synergie entre les inhibiteurs de BRAF, comme le vémurafénib, et les anti-CD20, comme le rituximab. Cette hypothèse a fait l’objet d’un essai de phase 2 que nous résumons ici (essai HCL-PG03).
Dans cet essai unicentrique (Université de Pérouse, Italie) à bras unique, les patients avec une HCL R/R BRAF muté recevaient du vémurafénib à la dose de 960 mg x 2 par jour par voie orale pendant 8 semaines, associé de manière concomitante puis séquentielle au rituximab par voie IV à la dose de 375 mg/m2, 8 doses réparties sur 18 semaines. A noter que, dans ce protocole chemo-free, les patients avec une infection active n’étaient pas exclus. L’évaluation de la réponse à la fin du traitement (critère primaire de jugement) se faisait 4 semaines après la dernière dose de rituximab et comprenait une BOM. La réponse était ensuite réévaluée tous les 6 mois avec à nouveau une BOM. Un point important de cet essai était l’évaluation de la MRD (sur le sang et sur la moelle osseuse par PCR allèle-spécifique BRAF V600E).
Objectif de l’étude
L’objectif principal de cette étude était le taux de CR à la fin du traitement. La CR était définie comme la disparition des cytopénies, de la splénomégalie, et l’absence de tricholeucocytes sur la BOM et le frottis sanguin.
Résultats de l’étude
Trente et un patients ont été inclus dans cette étude. Un patient a été rapidement retiré de l’essai car il avait une hémopathie lymphoïde B inclassable et non une HCL. L’âge médian était de 61 ans (rang 35-81). Le nombre médian de lignes antérieures était de 3 (rang 1-14). Tous les patients avaient déjà reçu des analogues des purines, 14 patients avaient déjà reçu du rituximab (dont 7 réfractaires au rituximab), 7 un inhibiteur de BRAF en monothérapie (5 vémurafénib, 2 dabrafénib). 6 patients étaient réfractaires au dernier traitement reçu. Les patients ne recevaient pas de prophylaxie anti-VZV ou anti-Pneumocystis jirovecii.
Le taux de CR était de 87% (26/30 patients). 65% des patients en CR avaient une MRD négative (17/26 patients). De manière intéressante, tous les patients réfractaires aux analogues des purines, au rituximab, et ceux ayant rechuté après un traitement par inhibiteurs de BRAF, ont obtenu une CR.
La survie sans progression (PFS) à partir du début du traitement chez les 30 patients était de 78% avec un suivi médian de 37 mois (figure 1A). La RFS à partir de la fin du traitement chez les 26 patients ayant obtenu une CR était de 85% avec un suivi médian de 34 mois (figure 1B). La survie sans MRD était de 100% chez les 17 patients ayant obtenu une MRD négative (figure 1C). De manière intéressante, l’obtention d’une MRD négative et l’absence d’exposition préalable aux inhibiteurs de BRAF étaient associées à une meilleure RFS. En revanche, l’exposition préalable au rituximab n’influençait pas la RFS. Ces analyses étaient toutefois réalisées sur de faibles effectifs et ces comparaisons étaient donc d’une puissance réduite. Chez les 7 patients qui avaient déjà reçu des inhibiteurs de BRAF par le passé, la RFS de l’association rituximab + vémurafénib était supérieure à la RFS qu’ils avaient obtenue avec l’inhibiteur de BRAF en monothérapie.
La tolérance était très bonne, avec dans la majorité des cas des toxicités de grade 1-2 et transitoires. Les effets indésirables cutanéo-articulaires « classiques » du vémurafénib étaient retrouvés dans cette étude, avec 1 mélanome in situ et 1 carcinome baso-cellulaire. À noter également de très fréquentes perturbations asymptomatiques des bilans hépatique et pancréatique.
Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?
L’association rituximab-vémurafénib permet ainsi d’obtenir un important taux de CR ainsi qu’un important taux de MRD négatives. L’impact de la MRD reste encore discuté dans l’HCL, et son évaluation n’est pas recommandée dans le dernier consensus d’expert4. Toutefois, cet essai montre une corrélation entre l’obtention d’une MRD négative et une RFS prolongée. L’autre molécule récemment étudiée dans l’HCL permettant d’obtenir des MRD négatives est le moxétumomab pasudotox, un immunoconjugué anti-CD22, mais la MRD était, dans cet essai, évaluée par immunohistochimie ou cytométrie en flux sur la moelle ; ce manque de standardisation quant à la technique utilisée, l’origine du prélèvement et le timing de réalisation est un frein à l’utilisation de la MRD en routine dans l’HCL5.
Même s’il n’est pas méthodologiquement correct de comparer les résultats de deux essais différents, l’association rituximab-vémurafénib semble offrir un taux de CR plus important et une RFS meilleure que le vémurafénib seul (sans doute grâce à l’obtention de MRD négatives avec l’association), avec en plus une durée d’exposition au vémurafénib plus courte (8 semaines avec l’association, 16-18 semaines en monothérapie), permettant ainsi de limiter la toxicité des inhibiteurs de BRAF3.
Ainsi, cette association pourrait permettre d’obtenir des réponses profondes et durables chez les patients HCL R/R, avec en plus un régime chemo-free avec une toxicité hématologique et une immunosuppression, limitées, contrairement aux analogues des purines.
Critique méthodologique
Cet essai de phase 2 simple bras est monocentrique, d’ordinaire moins fiable que les essais multicentriques, cependant cela n’a aucune conséquence au regard du petit effectif. La configuration de ce type d’essai est assez courante pour une étude pilote qu’est la phase 2. Àpropos de cet effectif de 31 patients, bien que relativement petit, il a été calculé sur la base d’un taux de réponse complète de 60% avec un risque alpha de 0.5% (contre 5% bilatéral habituellement) et une puissance élevée de 98%. Au final, le taux de réponse complète s’avère de 87%, soit bien au-delà des attentes, ce qui remplit amplement l’objectif principal.
La publication met à disposition une table reprenant certaines caractéristiques de ces 31 patients ce qui permet de retrouver les résultats obtenus et reproduire – pourquoi pas – les courbes de survie (sans progression, rechute ou MRD) présentées. Ceci présente un gage de confiance et de clarté. Quelques autres analyses post-hocsur les différentes survies ont été effectuées afin d’explorer de futures hypothèses, mais attention toutefois à la comparaison entre groupes de petits effectifs (moins de 10 patients parfois). Ces résultats globalement très encourageants en faveur de l’association rituximab-vémurafénib méritent de passer en essai de phase 3 qui, espérons-le, reprendra les taux de réponses et survies comme objectifs primaires et secondaires.
Points forts | Points faibles | |
Cliniques |
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Statistiques |
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Référence
- Zinzani PL, Pellegrini C, Stefoni V, et al. Hairy cell leukemia: evaluation of the long-term outcome in 121 patients. Cancer. 2010;116(20):4788–92.
- Paillassa J, Cornet E, Noel S, et al. Analysis of a cohort of 279 patients with hairy-cell leukemia (HCL): 10 years of follow-up. Blood Cancer J.2020;10(5):62.
- Tiacci E, Park JH, De Carolis L, et al. Targeting Mutant BRAF in Relapsed or Refractory Hairy-Cell Leukemia. N. Engl. J. Med.2015;373(18):1733–1747.
- Grever MR, Abdel-Wahab O, Andritsos LA, et al. Consensus guidelines for the diagnosis and management of patients with classic hairy cell leukemia. Blood. 2017;129(5):553–560.
- Kreitman RJ, Dearden C, Zinzani PL, et al. Moxetumomab pasudotox in relapsed/refractory hairy cell leukemia. Leukemia. 2018;32(8):1768–1777.