Du dosage à la fragmentomique du ctDNA dans la maladie de Hodgkin, un couteau Suisse moléculaire

Publié le : 19 octobre 2022Tags:

L’ADN circulant tumoral, un bio-marqueur pronostic au diagnostic et qui améliore la fiabilité des données de TEP intermédiaire dans la maladie de Hodgkin.

Circulating tumor DNA is a prognostic biomarker at baseline and improves the accuracy of interim pet in classic hodgkin lymphoma.

D’après la communication orale de MC Pirosa et al. Abstract #S225, EHA 2022.

Contexte de l’étude

Le développement des techniques pauci-invasives de détection, quantification et suivi de l’ADN circulant tumoral (ctDNA) va très probablement modifier nos stratégies dans les 5 à 10 ans qui viennent. En effet, ces techniques permettent, pour certaines histologies, de génotyper les pathologies (valeur diagnostique et pronostique a priori), de suivre la masse tumorale en cours de traitement, et probablement d’affiner la valeur prédictive des examens métaboliques dans certaines situations. Nos cohortes européennes sont un atout majeur dans la place à trouver pour ces techniques. Par ailleurs, ces reflets « nucléiques » de la tumeur dans le plasma peuvent nous renseigner sur la biologie in vivo des tumeurs et nous faire découvrir de nouvelles stratégies. Afin de développer des approches spécifiques pour chaque pathologie, des « sélecteurs » dédiés sont mis au point afin d’apporter spécificité et sensibilité à ces techniques. Si la technique semble en passe d’être optimisée pour les lymphomes B agressifs, il en est différemment dans d’autres histologies, en particulier pour la MdH, dans laquelle le compartiment génotypique plasmatique est probablement plus informatif que la tumeur elle-même.

Objectif de l’étude

Le groupe de Belinozza (Davide Rossi) publie les résultats de leur technique de cfDNA appliquée à une cohorte de patients atteints d’une MdH au diagnostic, collectée prospectivement avec plusieurs time-points de collecte de plasma au cours du traitement. Les données TEP et cliniques ont été collectées dans le même temps. Le but était de déterminer l’impact pronostic du ctDNA dans la maladie de Hodgkin.

Résultats de l’étude

Contrairement au lymphome B agressif, la détermination d’un génotype n’a pas été retenue comme facteur pronostic intéressant par l’équipe et n’a pas fait partie des résultats présentés (aucun résultat !). Les résultats se concentrent sur l’analyse de la « fragmentation » des molécules de cfDNA. En général, les fragments de cfDNA ont une taille médiane d’environ 167 paires de base. Cette taille correspond à la longueur des brins d’ADN enroulés dans la structure du nucléosome (dsADN enroulé autour de son histone avec l’histone linker-H(1). De façon intéressante, l’équipe met en évidence deux profils de « fragmentomique » au sein de leurs échantillons de MdH : des patients avec des profils « mononucléosomiques » (c’est-à-dire, d’environ 170pb, homogènes) et des patients avec profils « sub- mononucléosomiques » (qui possèdent des fragments de ctDNA de 167pb et de plus petite taille en proportion importante ») (figure 1).

Figure 1 : graphique de densité de la distribution des tailles de fragments de cfDNA daans la cohorte de maladie de Hodgkin.

Les auteurs mettent en évidence que les individus porteurs d’une forme submono-nucléosomale ont une forme plus avancée de la maladie, et des facteurs classique de mauvais pronostic (symptôme B, VS, etc.). Cette association significative se traduit par une survie sans progression inférieure par rapport au groupe dont le profil est mono-nucléosomal (figure 2). D’un point de vue de la génomique, ces différences de profil se retrouvent également dans la charge mutationnelle et les hypermutations somatiques (de fréquence plus élevée dans le groupe sub-mononucléosomal).

D’un point de vue biologique, et après analyse des tumeurs elle-même, il apparaîtrait que les micro-
environnements respectifs de ces profils de fragmentation sont différents, bien que l’analyse soit moins impressionnante que celle des facteurs pronostiques. L’environnement semblerait plus immunosuppressif (dont les populations T-Reg) dans le groupe submononucléosomal, tandis que le groupe mononucléosomal aurait un profil plus cytotoxique.

Au-delà du profil de fragmentation, il existe une corrélation (très) faible entre la quantification de ctDNA (cf. encadré) et le volume métabolique total (r=0.25). L’association entre quantification du ctDNA et symptômes/facteurs de risque est également limitée, il est cependant noté une association forte avec les symptômes B et le risque pronostic du GHSH, cependant de nombreux facteurs qui composent le score ne sont pas du tout corrélées. Paradoxalement dans la figure présentée, le MTV n’est pas significativement corrélé à la quantification du ctDNA, ce qui correspond bien à l’impression de la figure précédente de corrélation très faible.

« Pour s’y entendre sur le jargon moléculaire du plasma » :

• cfDNA : ADN circulant libre « total »,
issu de l’apoptose de cellules originaires de tous les tissus humains. Quantification en pg/mL par fluorométrie le plus souvent ;

• ctDNA : ADN circulant « tumoral »,
issue de l’apoptose des cellules tumorales (une fraction du cfDNA seulement) ;

• Quantification de l’ADN circulant tumoral : c’est quoi l’hGE ? hGE/mL
(Haploid Genome Equivalents)(3).
Technique de quantification du génome tumoral dans le plasma : la fréquence allélique moyenne de la tumeur (moyenne des VAF/fréquences alléliques des mutants propres de la tumeur) est multipliée par la concentration en cfDNA (pg/mL) et divisée par 3.3 (3.3pg, poids approximatif d’un génome haploïde ; cette unité permet de s’affranchir de l’assomption de diploïdie de la tumeur).

Pour finir sur une note plus translationnelle, les auteurs mettent en évidence que la concentration en ctDNA au diagnostic est un marqueur pronostique dans la pathologie, avec un seuil à 650 hGE/mL (Haploid Genome Equivalents). Ce seuil est validé dans leur cohorte de validation interne, mais n’est pas validé sur une cohorte externe, et reste indépendant en analyse multivariée du risque clinico-biologique initial ou du TMTV.

Enfin, l’analyse dynamique de la détection du ctDNA, combinée aux données intérimaires de TEP, améliore de façon très importante la spécificité et donc la valeur prédictive positive. En effet sur les données de TEP intermédiaire (TEPi), la SSP à 2 ans avec un TEP intermédiaire positif est à 50%, tandis que la SSP à 2 ans avec un TEPi positif et un marqueur moléculaire (MR) positif est bien plus défavorable à moins de 20%. Cependant de façon assez inattendue, les patients, avec un marqueur moléculaire positif mais une tep intermédiaire négative, ont exactement le même devenir que les patients sans marqueur moléculaire positif intermédiaire. Cette absence de différence pose la question de la spécificité du marqueur moléculaire choisi sur les échantillons au diagnostic comme étant vraiment « spécifiques » de la tumeur.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Ces résultats viennent joliment compléter l’étude prospective récente publiée par Vincent Camus dans la même pathologie, dans laquelle le focus mutationnel était au premier plan(2). En effet, l’équipe nous rapporte des résultats extrêmement intéressant de trois versants de l’histoire du cfDNA dans la maladie de Hodgkin :

  • une histoire du caractère pronostique du ctDNA au diagnostic ;
  • une histoire de caractéristiques biologiques différentes de tumeurs qui ont des profils de fragmentation du cfDNAdifférents (sans avoir aucune idée du pourquoi cependant !) ;
  • une histoire de la valeur de la réponse moléculaire par cfDNA, dont les caractéristiques doivent être détaillées.

Critique méthodologique

À mi-chemin entre la bio-informatique et la bio-statistique, la recherche de facteurs prédictifs de diagnostic ou de pronostic de survie, notamment parmi les biomarqueurs de type ADN, ARN ou protéiques, est un vaste domaine multidisciplinaire. Celle-ci est en vogue depuis une dizaine d’années au moins, et continue de s’accélérer avec les techniques de séquençages, la puissance de calculs des processeurs d’ordinateurs et les outils de machine learning. Bien que décriée par certains scientifiques, elle est devenue réellement indispensable aujourd’hui pour tenter de déterminer, avec plus de rapidité et de précision, le sort des patients et pouvoir l’anticiper. Nous ne sommes plus dans une perspective d’avenir mais bel et bien dans le temps présent.

Ici les auteurs ne dévoilent malheureusement pas les outils et techniques utilisés pour leurs recherches, et comme décrit plus haut, aucun profil génétique n’est véritablement ressorti de leurs analyses. Cependant, les chercheurs ont réussi à identifier deux profils génétiques ou « fragmentomes » : « mononucléosomiques » et « sub-mononucléosomiques ». Il aurait été appréciable d’avoir un descriptif comparatif entre ces deux profils de malades afin de mieux cerner les résultats trouvés sur la survie sans progression (SSP) des 215 patients étudiés, autrement dit une analyse multivariée avec ajustements, si nécessaires, pour estimer sans biais la moins bonne survie des patients du groupe sub-mononucléosomique. Les autres résultats sont remarquables. En effet, de nombreux résultats annexes permettent de comprendre le profil de ces patients, notamment un nombre de mutations significativement plus élevé globalement dans le groupe sub-mononucléosomique.

L’autre résultat majeur est celui sur la concentration en ctDNA, avec une recherche du meilleur seuil basé sur le test de log-rank, plutôt que d’utiliser d’autres outils comme les courbes ROC temps-dépendantes, pour ne citer que la méthode la plus courante. On attend les résultats sur une cohorte de validation externe en plus de l’interne pour renforcer des résultats multivariés obtenus et attester du pouvoir prédictif de cette donnée. Concernant les résultats sur les TEP, il n’est effectivement pas inutile de préciser que les comparaisons effectuées sur la SSP (de nouveau) donnent sans aucun doute une très bonne valeur de spécificité (supérieure à 85%). Cependant, parallèlement, la sensibilité laisse à désirer (autour de 50% voire moins après association avec un marqueur moléculaire). Le caractère potentiellement discriminant de ce paramètre-là sur la SSP est vraiment très discutable car mis à mal par cette mauvaise valeur de sensibilité.

Références : 

Cynthia Sanchez,  Benoit Roch, Thibault Mazard, Philippe Blache, Zahra Al Amir Dache, Brice Pastor,  Ekaterina Pisareva, Rita Tanos, and Alain R. Thierry. Circulating nuclear DNA structural features, origins, and complete size profile revealed by fragmentomics JCI 2021.

Vincent Camus, Mathieu Viennot, Justine Lequesne et al. Targeted genotyping of circulating tumor DNA for classical Hodgkin lymphoma monitoring: a prospective study. Haematologica 2021.

Scherer F, Kurtz DM, Newman AM, et al. Distinct biological subtypes and patterns of genome evolution in lymphoma revealed by circulating tumor DNA. Sci Transl Med. 2016 .

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