“Bright” study : un manteau brillant qui va changer les pratiques ?
Résultats de l’essai de phase 3 « SHINE », association de l’ibrutinib au rituximab et à la bendamustine avec une maintenance par rituximab pour le traitement du lymphome à cellules du manteau du sujet âgé.
Primary results from the phase 3 shine study of ibrutinib in combination with bendamustine-rituximab (br) and r maintenance as a first-line treatment for older patients with mantle-cell lymphoma.
D’après la communication orale de ML WANG et al. Abstract #S209, EHA 2022.
Contexte de l’étude
Dans le Lymphome à Cellules du Manteau (LCM), l’association d’immunochimiothérapie par rituximab et CHOP puis rituximab maintenance a démontré depuis de nombreuses années son intérêt pour les patients inéligibles à l’intensification thérapeutique (Kluin Nelemans et al. NEJM 2012). L’association R-Bendamustine présente certains avantages, en particulier l’association est considérée moins toxique et potentiellement plus efficace que le R-CHOP seul (Rummel etal., J Clin Oncol 2013). Cependant, l’intérêt du rituximab en maintenance dans cette association apparaît bien moins net, et limité à une amélioration de la survie sans progression (Rummel et al. ASCO 2016 ; Hill et al. ASH 2019). L’ibrutinib a révolutionné le paysage thérapeutique du LCM en rechute, avec des taux de réponse d’environ 80% en 2ème ligne (Ruleet al. Haematologica 2019), et sa remontée en 1ère ligne semblait légitime lors de la rédaction de cet essai.
Objectifs de l’étude
L’étude SHINE est une étude de phase 3, randomisée, pour les patients atteints de LCM non antérieurement traités, de stade II à IV, de >64 ans sans intention d’intensification thérapeutique. La randomisation était effectuée sur le score sMIPI (faible, intermédiaire ou haut). Les deux bras de traitements (1:1) étaient R-Bendamustine [90mg/m²] (RB)x6 cycles puis rituximab tous les deux mois durant 2 ans, avec ou sans (placebo) de l’ibrutinib à 560mg/j jusqu’à progression ou toxicité. Le critère d’analyse principal était l’amélioration de la survie sans progression.
Résultats de l’étude
Sur le flowchart de la figure 1, 523 patients ont été randomisés en 18 mois, soit un patient/jour, ce qui est une prouesse en soit compte-tenu de la rareté de cette hémopathie (183 sites ouverts). Les résultats sont matures pour l’interprétation avec un suivi médian de plus de 7 ans. Concernant les populations étudiées, les caractéristiques des patients et des pathologies étaient rigoureusement identiques. On peut noter un statut TP53 muté dans 10% des patients testés (mais faible exhaustivité de l’information). De la même façon, les formes plus agressives « blastoïdes » ou pléomorphiques représentaient environ 10% des effectifs, avec un tiers de masses « bulkys » (>= 5cm). Ce flow-chart est instructif à plusieurs égards, en particulier sur la toxicité du bras ibrutinib : la durée de prise d’ibrutinib a été de 24 mois tandis que les patients du bras placebo ont poursuivi leur traitement durant 10 mois de plus (34m). Par ailleurs, les arrêts de traitement ont été quasiment le double pour toxicité dans le bras ibrutinib (103/220) par rapport au bras de référence (63/201).
En termes d’efficacité, le bras RB-Ibrutinib (RB-I) démontre une amélioration de la survie sans progression soutenue dans le temps (figure 2),
avec une survie sans progression médiane allongée de 2.3 ans (6.7 vs. 4.4 années), traduisant une réduction du risque de rechute/décès de 25%. Les analyses de sous-groupes vont bon train, et s’il est difficile de déduire une pratique d’analyses de sous-groupes, on remarque que les groupes les moins favorables semblent tirer un bénéficie moins évident du bras expérimental (MIPI haut-risques, histologies agressives et anomalies de TP53 en particulier).
De façon très étonnante, il n’y avait pas de différence de taux de rémission globale (90% vs. 89%) ou complète (66% vs. 58%) entre les bras RB-I et RB, respectivement.
Le temps jusqu’au traitement suivant est bien entendu plus favorable au bras expérimental (HR=0.48). En termes de toxicité, l’association a été plus toxique en fréquence et en intensité que le bras Placebo, en particulier sur les cytopénies, les troubles digestifs et cutanés. Bien entendu, on retrouve également les toxicités désormais bien connues de l’ibrutinib (14% d’AC/FA vs. 6.5%) et 43% de saignements (vs. 21%).
En survie globale, avec plus de 7 ans de suivi, aucune différence n’est notée. Les causes de mort sont réparties différemment entre les bras : 11% de décès sont reliés aux TEAEs (évènements indésirables graves des traitements émergents) dans le bras BR-I contre 6% dans le bras contrôle, tandis que la mortalité due au lymphome est de 11% dans le bras expérimental (vs. 21% dans le bras contrôle).
Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?
Étude de grande ampleur ayant démontré son objectif primaire d’amélioration de la survie sans progression chez les patients atteints de LCM non antérieurement traités. Il reste à s’interroger sur la place dans nos pratiques au quotidien avec plusieurs questions :
le bras R-CHOP avec la maintenance sans limite de temps (vs. 2 ans dans SHINE) avait rapporté une SSP de 5 ans et demi depuis la 2ème randomisation, mais une SSP de 2 ans seulement pour le groupe global depuis l’induction rendant la comparaison complexe avec l’essai SHINE. Il semblerait cependant que le bras de référence choisi dans SHINE soit véritablement efficace ;
la différence de SSP entre les deux est d’environ 2 ans, ce qui est très similaire à la durée de SSP rapportée par nos collègues britaniques pour les patients atteints de LCM en 2ème ligne et traités par BTKi (Rule et al. Haematologica2019) ;
la question du gain en survie globale a été posée, cependant, nous sommes déjà à 7 ans de suivi sans un frémissement d’écart entre les courbes ;
la toxicité du bras expérimental est un vrai sujet d’inquiétude. La surtoxicité de l’ibrutinib associé avec une immunochimiothérapie avait déjà été notée dans l’essai de phase Ib BIBLOS (NCT02055924). De plus, ces résultats de toxicité sont ceux d’une population sélectionnée qui a été amenée à stopper le traitement par ibrutinib dans 40% des cas pour des raisons autres que la progression et la surmortalité liées aux effets secondaires ne peut pas être complètement écartée.
Au total, cette association semble intéressante dans une population de LCM très sélectionnés, avec une surveillance accrue des effets secondaires ; cependant les autorités régulatrices valideront-elles une association dont le seul bénéfice est la SSP, avec un gain qui, d’un point de vue arithmétique, semble similaire à celui d’un traitement séquentiel R-Chimio puis ibrutinib ?
Critique méthodologique
Cet essai baptisé SHINE coche toutes les cases du gold-standard des essais cliniques de phase 3 : randomisé (avec stratification sur le score MIPI dans notre cas), R-Bendamustine (BR) avec traitement (ibrutinib donc) versus placebo et, très important, réalisé en double-aveugle. Le critère principal était la survie sans progression (SSP) et 523 patients ont été inclus aléatoirement dans les deux bras avec un ratio 1:1 (261 avec ibrutinib et 262 avec placebo). Les caractéristiques des patients sont, comme attendu, comparables entre les deux bras, même en ce qui concerne les mutations TP53 et l’épaisseur de la LCM. Le nombre d’individus ayant bénéficié d’au moins une dose de rituximab en maintenance était également comparable entre les deux groupes. À partir de tous ces éléments, qui nous indiquent leur bien-fondé quant à la réduction des biais au maximum, on peut lire et interpréter les résultats sans trop se préoccuper de la légitimité de cet essai.
L’information majeure est que le critère principal est atteint, avec un gain de 2.3 ans en médiane de SSP en faveur du bras ibrutinib, avec un hazard-ratio (HR) égal à 0.75 [IC de 95% : 0.59-0.96]. Ce gain se retrouve particulièrement dans la sous-population de patients à risque MIPI intermédiaire, qui est aussi la plus représentée dans cette population de patients leucémiques – il faut le souligner. Contrat rempli, mais pas forcément pour une partie des critères secondaires. On constate également une meilleure time to next treatment pour l’ibrutinib, avec un HR estimé à 0.48, un risque divisé par deux, ce qui est également un très bon point. À noter qu’en proportion, un second traitement par ibrutinib a été proposé à 38.7% des patients du bras placebo qui ont switché de traitement contre 11% pour le bras ibrutinib. On peut légitimement supposer que cela puisse avoir un impact bénéfique sur la survie globale, qui reste à démontrer.
D’après le flowchart, la durée du traitement par placebo a été plus longue avec 39 mois en durée médiane versus 24 mois pour le bras ibrutinib, probablement dû à la toxicité avérée de la molécule analysée, son point faible majeur. On notera beaucoup plus d’événements de saignements et de fibrillations auriculaires dans notre bras expérimental. Sachant que les courbes de survie globale et que les taux de réponse globale (ou ORR) sont équivalents entre les deux bras, cela devrait générer beaucoup de débat sur l’équilibre de la balance bénéfice/risque, en effet, le gain de l’ibrutinib se situerait logiquement au niveau de l’incidence de rechute. Après un bref calcul, il y a deux fois et demi plus de progressions de la maladie dans le bras placebo. Quelques analyses et graphiques supplémentaires exploratoires sur cet endpoint d’intérêt (bien que non prévu dans le protocole) permettrait de clarifier les discussions.