Ça bouge dans le syndrome de Richter
Epcoritamab en sous-cutanée pour les patients avec un syndrome de Richter :
1ers résultats d’un essai de phase 1/2 (EPCORE CLL-1).
Subcutaneous epcoritamab in patients with Richter’s syndrome: early results from phase 1/2 trial (EPCORE CLL-1).
D’après la communication orale d’Arnon P Kater et al. Abstract #348, ASH 2022.
Contexte de l’étude
Le pronostic des leucémies lymphoïdes chroniques (LLC) en rechute ou réfractaires (R/R) après des traitements ciblés et surtout après transformation en lymphome de haut grade reste particulièrement sombre. Le syndrome de Richter est défini par la transformation de la LLC en un lymphome agressif, le plus souvent un lymphome diffus à grandes cellules (LDGC) B CD20+ pour lequel il n’y a pas de recommandations de traitements bien établies. Le plus souvent, une immuno-polychimiothéapie à base d’anthracyclines ou de cytarabine + sels de platine est utilisée avec une efficacité médiocre et des effets indésirables importants, en partie liés à l’âge et aux comorbidités de la population de patients concernés. L’epcoritamab est un nouvel anticorps bispécifique CD3xCD20 administré par voie sous-cutanée qui a déjà montré une efficacité clinique dans les LDGC B en R/R 1, 2. Des résultats encourageants ont aussi été observés dans la phase d’escalade de dose de l’essai EPCORE CLL-1 chez des patients LLC R/R. Cette étude évalue actuellement la tolérance et l’efficacité de la molécule dans plusieurs cohortes d’expansion.
Dans cette communication, les auteurs présentent les données initiales de la cohorte RS-DLCL (syndrome de Richter de type LDGC B) de l’essai de phase 1/2 en cours EPCORE CLL-1.
Objectifs de l’étude
Les patients ayant un antécédent de LLC ou lymphome lymphocytique et un syndrome de Richter de type LDGC B CD 20+ prouvé par une biopsie et ayant reçu au maximum 1 ligne de traitement pour la transformation étaient incluables dans l’essai. Ils recevaient alors l’epcoritamab en monothérapie en sous-cutanée 48 mg 1 fois/semaine pour les cycles 1 à 3, toutes les 2 semaines pour les cycles 4 à 9 puis toutes les 4 semaines à partir du cycle 10 jusqu’à progression ou toxicité inacceptable (cycles de 28 jours). Lors du cycle 1, la dose était progressivement croissante et associée à une administration concomitante de corticoïdes afin de limiter le risque de syndrome de relargage cytokiniques (CRS). L’évaluation des réponses était effectuée selon les critères de Lugano 2014 en utilisant la TEP-TDM.
L’objectif principal de l’essai était le taux de réponse globale (TRG) et les objectifs secondaires, le taux de réponse métabolique complète, le délai de réponse et la tolérance.
Résultats de l’étude
Au moment de l’analyse, 10 patients (âge médian de 70 ans – range 53 à 79) avaient reçu l’epcoritamab avec un suivi ≥ 12 semaines. La moitié des patients (5) avaient déjà reçu un traitement pour le Richter : rituximab, cyclophosphamide, doxorubicine, vincristice et prednisone (R-CHOP, n=3),
rituximab, dexaméthasone, cytarabine et cisplatine (R-DHAP, n=1) et vénétoclax,
rituximab, étoposide, prednisone, vincristine,cyclophphosphamide et doxorubicine (VR-EPOCH, n=1).
Le TRG était de 60% avec un suivi médian de 4,9 mois (range 0,6-9,3) : 5 réponses métaboliques complète, 1 réponse métabolique partielle. Un patient est resté en maladie stable, 2 ont progressé et sont décédés, 1 n’était pas évaluable. La durée médiane de traitement était de 2,5 mois (range 0,5-6,5) et 5 (50%) patients sont toujours en traitement (figure 1). La majorité des réponses a été observée précocement (délai médian de 1,3 mois, range 1,1-2,4), lors de la 1ère évaluation réalisée à la semaine 6 de traitement.
En ce qui concerne la tolérance, les effets indésirables (EI) liés au traitement les plus fréquents tous grades confondus était le CRS (90% dont 40% de grade (G) 1 et 50% de G2), l’anémie (40%), la diarrhée (40%), l’hypophosphatémie (30%), réaction au site d’injection (30%) et la thrombopénie (30%). Les EI de G3-4 notables incluaient les neutropénies (2 patients de G3 et 2 patients de G4), les anémies (n=2) et infections COVID-19 (n=2) (figure 2). La plupart des CRS survenaient lors de la 1ère administration de la pleine dose d’epcoritamab. Tous ont évolué favorablement avec une durée médiane de 3 jours. Aucun patient n’a arrêté le traitement pour cette raison même si 6 d’entre eux ont reçu du tocilizumab. Il n’a pas été observé de toxicité neurologique (ICANS). Un syndrome de lyse tumoral clinique a été rapporté chez 1 patient avec une évolution favorable en 3 jours. Aucun patient n’a arrêté le traitement pour toxicité.
Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?
Le profil de tolérance de l’epcoritamab administré en sous-cutanée est très bon, avec seulement des CRS de bas grade observés le plus souvent lors de la 1ère pleine dose et d’évolution favorable. Ceci correspond à ce qui avait été observé précédemment, il n’a pas été mentionné de nouvel EI. Un autre anticorps bispécifique, le blinatumumob (anti-CD3xXD19), fait également l’objet d’essais dans le syndrome de Richter en monothérapie. Les résultats d’un essai de phase 2 ont été publié cette année 3. Le blinatumomab était donné en intraveineux en continu à la dose de 112 microg/j (après une phase d’escalade de dose avec des paliers hebdomadaires) pendant une phase d’induction de 8 semaines puis une phase de consolidation de 4 semaines. Les patients avaient reçu une médiane de 4 lignes de traitements pour la LLC et de 2 lignes pour le Richter. Parmi les 9 patients traités, 4 ont présenté une diminution de la taille des ganglions dont une réponse complète durable (> 1 an). La tolérance était bonne marquée par l’absence de CRS de G>3, 1 seul cas de G3 avec une toxicité neurologique réversible. Actuellement, une étude du groupe FILO (French Innovative Leukemia Organization) est en cours, son objectif principal est d’identifier une réponse objective à un cycle de 8 semaines de blinatumomab après un traitement de cytoréduction par R-CHOP chez les patients présentant un syndrome de Richter non précédemment traité (NCT03931642).
Les résultats de l’étude EPCORE CLL-1 sont encore très préliminaires (le recul est très court) mais ils sont encourageants et le mode d’administration simple de la molécule en fait une drogue de choix dans le futur arsenal thérapeutique de cette pathologie.
Critique méthodologique
Difficile de faire la critique méthodologique d’une présentation qui a priori en est dépourvue….
Il est même surprenant que des résultats sur un échantillon de 10 patients soient présentés à l’oral, qui plus est sans que soit précisés les hypothèses sous-jacentes.
Il est cependant tentant de trouver ces résultats encourageants, par exemple sur le taux de réponse métaboliques complètes (5 patients sur 10). Ce qui nous importe n’est en fait pas vraiment les résultats observés dans l’échantillon (l’essai) mais ce que l’on peut déduire (inférer) de ce qui serait observé dans la population.
Le calcul de l’intervalle de confiance à 95% (IC95%) donne pour cette proportion les bornes suivantes {0.19-0.81} ; donc une précision que l’on peut qualifier de mauvaise. Il en est de même pour tous les résultats fournis par cette étude qui se présente presque comme une suite de cas…
À quand une présentation qui nous fournira les détails de la réponse et de la tolérance d’un nouveau médicament chez 1 patient lors d’une présentation orale d’un congrés international…
Plus sérieusement, dans une pathologie aussi grave et qui reste assez rare, il est regrettable que des essais convenablement menés ne soient pas plus menés afin d’espérer une amélioration du pronostic de ces patients qui reste extrêmement mauvais.
Références
- Hutchings M. et al, Lancet 2021;398:1157-1169.
- Thieblemont C. et al, EHA 2022, abstract LB2364, Hemasphere. 2022 Jun;6(Suppl):1-4130.
- Thompson PA. et al, Leukemia. 2022 Sep;36(9):2228-2232.