Triangle : quand le ménage à trois refait le monde (du LCM !)
Efficacité et sécurité de l’Ibrutinib en combinaisons avec le traitement standard ou en remplacement de l’autogreffe pour les patients jeunes atteints d’un lymphome à cellulesdu manteau en première ligne : résultats de l’essai
Triangle du MCL Network.
Efficacy and Safety of Ibrutinib Combined with Standard First-Line Treatment or As Substitute for Autologous Stem Cell Transplantation in Younger Patients with Mantle Cell Lymphoma: Results from the Randomized Triangle Trial By the European MCL Network.
D’après la communication orale de M. Dreylin et al. Abstract #1, ASH 2022.
Contexte de l’étude
Il est rare que le lymphome à cellules du manteau caracole en tête des présentations compte-tenu de sa faible prévalence (5-10% des LNH), alors que son intrigante hétérogénéité et les avancées thérapeutiques majeures qui le concernent en font un sujet passionnant. Bref, lorsqu’une étude de phase 3 est “Abstract #1″
de l’ASH, c’est que du mouvement s’annonce dans les pratiques. Depuis de nombreuses années la maintenance par rituximab a fait sa place en 1ère ligne(1, 2)
cependant l’intensification thérapeutique chez le sujet jeune qui avait fait sa place grâce à une étude du même groupe(3) vacille à la lumière des résultats obtenus par les thérapies ciblées(4, 5) et TRIANGLE n’arrange rien.
Objectifs de l’étude
Résultats de l’objectif primaire d’amélioration de la survie sans échec entre les bras « A+I » vs. « A », « A » vs. « I » et « A+I » vs. « I ». Les bras de traitement sont détaillés dans la figure 1.
Le bras A correspond au bras « classique » du MCL Network (alternance RCHOP/DHAP, intensification). Le bras A+I comprend le bras classique, avec l’ibrutinib
au cours des cycles de R-CHOP, et 2 ans de maintenance par ibrutinib après l’intensification. Le bras I s’affranchit de l’intensification, mais conserve l’immunochimiothérapie initiale et la maintenance de 2 ans. La maintenance par rituximab était libre aux centres investigateurs, et ~60% des patients en ont reçu, de façon homogène entre les 3 bras. Les patients de 18 à 65 ans, avec un LCM au diagnostic, de stade II-IV et avec un PS<3 étaient inclus.
Résultats de l’étude
Neuf-cent-sept patients ont été screenés, et 870 ont été randomisés entre 2016 et 2020, dans les centres participants. Les caractéristiques des patients étaient similaires entres les groupes A, A+I et I (n=288, 292 et 290, respectivement), dont 58% de MIPI faibles. Les taux de réponse globale à l’issue de l’induction étaient de 97%, avec cependant une amélioration du taux de RC et de réponse globale pour les bras avec ibrutinib (induction identique) vs. sans ibrutinib (RC :45% vs. 36% et RGlobale : 98% vs. 94%).
La comparaison des bras A+I vs. A
Le résultat est en faveur du bras A+I, avec un HR 0.52 (p=0.0008), la SSE à 3 ans est de 88% vs. 72%, de façon homogène au sein des sous-groupes, et il semblerait que pour les patients exprimant fortement p53 (surrogate imparfait de la survenue de mutations TP53), cet effet soit plus marqué. Enfin, l’utilisation de l’ibrutinib semble aussi favorable chez les patients exposés ou non à la maintenance par rituximab.
La comparaison des bras A vs. I
En voyant les courbes et les chiffres on ne comprend pas la lecture des résultats d’un point de vue clinique. En effet, les résultats sont une SSE à 3 ans de 86% pour le bras I et 72% pour le bras A, avec un HR à 1.77 mais une valeur de p=0.99 (test unilatéral ! On n’est plus habitué à voir ces conclusions). Il s’agit donc d’un rejet de l’hypothèse « A>I », et l’hypothèse I>A ne rentre pas dans l’équation, cependant, ces résultats sont impressionnants pour le bras I, sans intensification.
La comparaison des bras A+I vs. I
Cette comparaison peut poser question, en effet l’ibrutinib n’étant pas un standard de traitement, que va-t-on en faire ? À ce stade de l’analyse des évènements, trop peu d’évènements ont été enregistrés pour pouvoir conclure sur le critère, et numériquement, les deux bras sont strictement équivalents (figure 2).
En considérant les traitements à la rechute, la majorité des patients du bras standard ont reçu de l’ibrutinib (79%), tandis que 24% et 11% en ont reçu dans les bras A+I et I. Et qu’en est-il de la survie globale ? Pour l’instant, aucune statistique n’est rendue en termes de comparaison, avec des survies à 3 ans à 86%, 91% et 92% pour les bras A, A+I et I.
Quelle tolérance attendre ? Les toxicités au cours de l’induction ne permettent pas de mettre en évidence de différence majeure avec ou sans ibrutinib, avec une petite majoration des toxicités hématologiques (76 vs. 71%) et des infections (12 vs. 9%), mais sans impact clinique évident (ce qui est également vrai pour les toxicités de grade ≥3). Par ailleurs, au cours de l’autogreffe, il n’y a pas eu de différence de toxicité non plus. La situation est beaucoup plus contrastée au cours de la maintenance, avec 50% de toxicités hématologies de grades 3-4 pour le bras A+I (21% pour le bras A et 28% pour le bras I), toxicités qui ont eu un impact clinique sur les infections survenues (25% pour A+I, 13% pour A, et 19% pour I).
Concernant les causes de décès, seuls les bras avec intensification ont noté des décès liés à la procédure (7 décès au total), cependant on peut noter que de nombreux décès sont liés à des « concomitant » diseases ou non annotées, ce qui rend l’interprétation un peu difficile.
Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?
Le même auteur qui a publié le Blood de 2005(3) a jeté la première fleur sur le cercueil de l’intensification thérapeutique : le bras intensif avec ibrutinib
est supérieur au bras standard (A+I>A), le bras intensif n’est pas supérieur au bras chimio + ibrutinib (I) ; et l’impression qui se dégage des courbes est que c’est l’inverse et qu’il serait possible de passer de l’intensification en utilisant l’ibrutinib. Enfin il n’y a pas de réponse apportée à la comparaison intensif avec ibrutinib par rapport au bras chimio + ibrutinib.
Plusieurs réflexions sont soulevées par ces données :
- l’absence de toxicité importante de l’Ibru associé au R-CHOP est convaincante, tandis que la toxicité au cours de la maintenance est significativement majorée sous ibrutinib, une constatation différente de celle de l’essai SHINE (toxicité plus importante chez des patients plus âgés) ;
- la faible différence de réponse au décours de l’induction rend un peu perplexe, peut-être le niveau de MRD biologique sera-t-il plus contrasté. L’impact très positif chez les patients avec une forte expression de p53 (c’est-à-dire, probablement TP53 muté) est en faveur d’un impact positif précoce, avant les périodes de consolidation/maintenance ;
- la durée d’exposition (de tolérance) à cette classe de BTKi n’a pas été décrite lors de la présentation, combien de patients ont « tenu » les deux années de maintenance ?
- la question de l’avenir de ces données en termes de pratique est inconnue à ce moment. Il est fort probable que les données de survie globale plus mâtures permettront de faire avancer les décisions si le bénéfice se confirme ;
- en ligne avec les données de survie globale, il va être très important de connaître les données de 2nde SSP (c’est-à-dire la réponse à la ligne n+1) de ces patients exposés à l’ibrutinib dès la première ligne. Les BTKi sont les seules molécules à avoir changé la survie des patients en situation de rechute après immuno-chimiothérapie initiale, et le coup d’après thérapeutique n’est peut-être pas si évident à jouer ;
- les données de rémission sont basées sur le scanner et non le TEP, rendant simple la comparaison aux essais du groupe EMCL-Network, mais difficile la comparaison avec les groupes nord-américains.
Critique méthodologique
Cet essai clinique de phase 3 a pour particularité d’avoir trois bras : 1 bras contrôle (autogreffe/A) et 2 expérimentaux (autogreffe avec ibrutinib/A+I et ibrutinib seul/I). Il faut noter qu’il n’y a que deux hypothèses posées alors qu’habituellement, à la comparaison de chacun des 2 bras versus le bras contrôle (supériorité), une 3e s’est ajoutée : la comparaison entre les 2 bras expérimentaux. Il n’y a pas de détail sur le calcul du nombre de patients par bras, on peut simplement supposer que les tests sont unilatéraux (exemple concernant les comparaisons par rapport aux autogreffés uniquement). Environ 290 recrutements ont été réalisés pour chaque bras. Le calcul de p-values corrigées dans les résultats laisse à penser que l’équipe de recherche a tenu compte de la multiplicité des tests. Il faudra attendre la publication pour avoir l’ensemble de la méthodologie, des hypothèses formulées et critères à étudier pour le dimensionnement de cette étude.
L’autre particularité concerne les hypothèses elles-mêmes. Dans un premier temps, il est question de tester la supériorité de la combinaison A+I vs. A (avec un gain très net en faveur de A+I comme on peut le constater). Ensuite, cependant, c’est la supériorité de A (= bras contrôle) par rapport à I qui est analysée et non l’inverse. Ce qui nous amène à ce résultat quelque peu déroutant :
alors que la survie est très franchement en faveur du bras I, la p-value demeure non-significative avec un test de log-rank est unilatéral. En conclusion : A n’est pas donc pas supérieur à I (figure 2), il est même graphiquement bien inférieur au bras I. Pourtant, il n’y a rien de contradictoire dans cette démonstration. En effet, il semblerait que les auteurs n’avaient juste pas prévu que l’ibrutinib seul ferait si bien. Par conséquent, peut-on se permettre dans cette situation, de calculer la p-value pour I > A, alors que ce n’était pas prévu dans le protocole ?
C’est très tentant au regard de la différence observée et tout à fait faisable, mais cela risque de ne pas être recevable pour des raisons purement protocolaires (certaines personnes peuvent être inflexibles à ce sujet). La troisième hypothèse comparant les deux bras expérimentaux n’a pas pu être testée car les traitements étaient toujours en cours. Mais cela ne laisse aucun doute en réalité : les courbes de survie des bras A+I et I sont superposées, laissant deviner que l’équivalence entre les 2 bras soit avérée.
Seuls les résultats de l’objectif primaire composite qu’est la failure-free survival (survie sans échec ou FFS) ont été présentés dans cet oral, laissant l’auditoire dans l’expectative des autres critères secondaires (réponse au traitement, survie globale, etc.). La FFS est ici une survie sans progression (PFS) tenant en plus compte de la non-réponse au traitement, cependant peu de patients étaient concernés. Nous pouvons donc peut penser que cette FFS est quasiment une PFS.
Références :
- Kluin-Nelemans, Hanneke C., Eva Hoster, Olivier Hermine, Jan Walewski, Christian H. Geisler, Marek Trneny, Stephan Stilgenbauer, and al. 2020. « Treatment of Older Patients With Mantle Cell Lymphoma (MCL): Long-Term Follow-Up of the Randomized European MCL Elderly Trial ». Journal of Clinical Oncology: Official Journal of the American Society of Clinical Oncology 38 (3): 248‑56. https://doi.org/10.1200/JCO.19.01294.
- Le Gouill, Steven, Catherine Thieblemont, Lucie Oberic, Anne Moreau, Krimo Bouabdallah, Caroline Dartigeas, Gandhi Damaj, and al. 2017. « Rituximab after Autologous Stem-Cell Transplantation in Mantle-Cell Lymphoma ». New England Journal of Medicine 377 (13): 1250‑60. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1701769.
- Dreyling, Martin, Georg Lenz, Eva Hoster, Achiel Van Hoof, Christian Gisselbrecht, Rudolf Schmits, Bernd Metzner, and al. 2005. « Early Consolidation by Myeloablative Radiochemotherapy Followed by Autologous Stem Cell Transplantation in First Remission Significantly Prolongs Progression-Free Survival in Mantle-Cell Lymphoma: Results of a Prospective Randomized Trial of the European MCL Network ». Blood 105 (7): 2677‑84. https://doi.org/10.1182/blood-2004-10-3883.
- Tam, Constantine S., Mary Ann Anderson, Christiane Pott, Rishu Agarwal, Sasanka Handunnetti, Rodney J. Hicks, Kate Burbury, and al. 2018. « Ibrutinib plus Venetoclax for the Treatment of Mantle-Cell Lymphoma ». The New England Journal of Medicine 378 (13): 1211‑23. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1715519.
- Le Gouill, Steven, Franck Morschhauser, David Chiron, Krimo Bouabdallah, Guillaume Cartron, Olivier Casasnovas, C. Bodet-Milin, and al. 2020. « Ibrutinib, Obinutuzumab And Venetoclax In Relapsed and Untreated Patients with Mantle-Cell Lymphoma, a Phase I/II Trial. » Blood, novembre. https://doi.org/10.1182/blood.2020008727.
- Blank, Christian U., W. Nicholas Haining, Werner Held, Patrick G. Hogan, Axel Kallies, Enrico Lugli, Rachel C. Lynn, and al. 2019. « Defining ‘T Cell Exhaustion’ ». Nature Reviews Immunology 19 (11): 665‑74. https://doi.org/10.1038/s41577-019-0221-9.
- Yang, Zhi-Zhang, Hyo Jin Kim, Jose C. Villasboas, Ya-Ping Chen, Tammy Price-Troska, Shahrzad Jalali, Mara Wilson, Anne J. Novak, and Stephen M. Ansell. 2017. « Expression of LAG-3 defines exhaustion of intratumoral PD-1+ T cells and correlates with poor outcome in follicular lymphoma ». Oncotarget 8 (37): 61425‑39. https://doi.org/10.18632/oncotarget.18251.