Objectif TFR : 1ère étape remportée par le nilotinib versus imatinib avec switch précoce vers nilotinib
Étude prospective internationale comparant un traitement par nilotinib versus imatinib avec relai précoce par nilotinib sur le succès de l’arrêt du traitement.
International, prospective study comparing nilotinib versus imatinib with early switch to nilotinib to obtain sustained treatment-free remission in patients with chronic myeloid leukemia.
D’après la communication orale de F Pane et al. Abstract #S156, EHA 2022.
Contexte de l’étude
Les dernières recommandations ELN (Hochhaus et al., Leukemia 2020) ont mis en exergue la TFR (pour treatment free remission) comme un nouvel objectif thérapeutique pour les patients LMC en phase chronique (LMC-PC) sans pourtant statuer sur une stratégie de switch vers un ITK de deuxième génération (ITK2G) pour les patients n’obtenant pas de réponse moléculaire profonde (RMP) sous imatinib, ni sur l’introduction préférentielle d’un ITK2G en première ligne dans cette perspective. Dans l’étude SUSTRENIM (Sustained Treatment-free remission in BCR-ABL+ Chronic Myeloid Leukemia) présentée ici, le groupe italien explore de manière inédite avec une randomisation dès le diagnostic la meilleure stratégie de traitement de 1ère ligne eu égard à cet objectif de TFR : traitement par un ITK2G d’emblée, le nilotinib, ou par imatinib avec relai précoce par nilotinib en cas de réponse non satisfaisante notamment en l’absence d’obtention d’une EMR (pour Early molecular response correspondant à un ratio BCR::ABL1/ABL1 <10% à 3 mois de traitement).
Objectifs de l’étude
L’objectif principal de l’étude SUSTRENIM est double : 1) évaluer la proportion de patients obtenant une RMP de type MR4.5 après 24 mois de traitement (M24) ; 2) évaluer la proportion de patients en succès d’arrêt (TFR) 12 mois après interruption de leur ITK, chez des patients LMC-PC en 1ère ligne recevant après une randomisation 1:1, nilotinib 300 mg 2 fois par jour (NIL) ou imatinib 400 mg par jour (IMA) (figure 1).
Dans le bras imatinib est programmé un switch précoce vers nilotinib en l’absence de réponse optimale selon les critères définis par ELN au cours de la 1ère année de traitement. La randomisation est stratifiée sur le score Sokal (faible/intermédiaire versus élevé) et le centre. Les critères d’éligibilité à l’arrêt de traitement appliqués dans cet essai sont : obtention d’une RMP de type MR4 au cours des 3 premières années de traitement et son maintien pendant 12 mois par la suite.
Résultats de l’étude
De novembre 2016 à janvier 2021, 448 nouveaux cas de LMC-PC ont été randomisés : 228 dans le bras NIL et 220 dans le bras IMA. L’âge médian au diagnostic est de 56.5 ans (19.9-84.1) dans le bras IMA et 52.5 (19.4-85.8) dans le bras NIL. Selon le score Sokal, 40.9% des patients sont de risque faible, 42.6% intermédiaire et 16% élevé tandis que selon le score ELTS respectivement 62.3%, 28.7% et 9.0%. Selon le score ELTS, 89.5% sont de risque faible/intermédiaire dans le bras IMA vers 91.6% dans le bras NIL. Les inclusions ont pris fin en octobre 2020, le suivi médian de l’ensemble de la cohorte est de 30.4 mois.
Un quart des patients du bras IMA (26.4%) ont switché pour NIL, parmi les 58 patients concernés 19.8% avaient un score Sokal faible, 26.7% intermédiaire et 38.9% élevé. Sur les 339 patients évaluables à M24 (n=161 bras IMA et n=177 dans le bras NIL), le taux de MR4.5 est significativement supérieur dans le bras NIL : 29.4% versus 18%. La répartition des patients selon les scores pronostiques Sokal et ELTS montre que l’impact du NIL sur le taux de MR4.5 est le plus marqué pour les patients de risque faible (figure 2). Dans le bras IMA, parmi les 37 patients n’ayant pas obtenu d’EMR, 2 seulement sont en MR4.5 à M24 et dans le bras NIL sur 13 patients en échec d’EMR 1 seulement est en MR4.5 à M24.
Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?
L’intensification du traitement initial dans le but d’obtenir une DMR précoce avec pour corollaire une augmentation du nombre de patients pouvant bénéficier d’une potentielle TFR restait une question en suspens à la suite des dernières recommandations ELN. Dans l’essai ENESTcmr, après obtention d’une réponse cytogénétique complète, les patients étaient randomisés pour poursuivre l’IMA versus relai par NIL 400 mg 2 fois par jour. La proportion de patients obtenant une MR4.5 est certes supérieure dans le bras NIL mais avec une toxicité supérieure notamment 13% d’évènements cardiovasculaires. Les résultats préliminaires de l’essai SUSTRENIM suggèrent une supériorité du NIL sur la probabilité d’obtenir une RMP par rapport à l’IMA en dépit de la réalisation d’un switch précoce pour NIL. Les données de TFR à venir sont d’un intérêt majeur pour statuer sur la meilleure stratégie thérapeutique permettant de satisfaire cet objectif désormais reconnu de TFR. Notons qu’aucune donnée de tolérance n’a été présentée et que la balance bénéfice/risque reste l’objectif primaire de prise en charge des patients. Un nombre important de données cytogénétiques sont manquantes au diagnostic alors que le caryotype fait partie des éléments pronostiques à évaluer de manière systématique au moment de la prise en charge. Les critères de reprise du traitement sont surprenants avec la perte de la MR4 sur 3 tests consécutifs en plus de la perte de la MMR (pour major molecular remission) consensuelle.
Critique méthodologique
Cet essai clinique, comparant un bras nilotinib versus imatinib avec possibilité de switch précoce pour du nilotinib durant les 2 ans d’induction, a la particularité d’avoir deux
co-objectifs primaires : le premier est le taux de RM4.5 après la phase d’induction, et le second, le taux de treatment-free remission (ou TFR) un an après la phase de consolidation. La TFR est devenu un endpoint clé dans le traitement de la LMC ; aujourd’hui on surveille particulièrement la perte de réponse moléculaire après la TFR pour évaluer la durabilité de la survie sans aucune reprise de traitement. Dans le cas de deux co-objectifs primaires, il n’est pas question de critère composite : le calcul d’effectif s’effectue pour les deux hypothèses et c’est l’hypothèse nécessitant le plus de patients qui détermine le nombre total d’individus à inclure dans l’essai. En conséquence, il faut revoir le seuil de significativité (habituellement de 5%) à la baisse car nous sommes dans le cadre de tests multiples. Pour que l’essai soit concluant, il a été défini que les tests statistiques sur chacune des hypothèses principales doivent avoir une p-value inférieure à 3%.
Les analyses qui ont été présentées se concentrent sur la première phase de l’étude après achèvement de l’induction, à savoir le taux de RM4,5 à 24 mois. Cet objectif a été vérifié avec une p-value de 0,016, le taux étant en faveur du bras NIL comme attendu. En revanche, il faut prêter attention au tableau descriptif des patients qui indique que les sujets âgés
(> 65 ans) sont plus nombreux dans le bras IMA (28,6% contre 19,7% dans le bras NIL, p < 5% après re-vérification), et ce malgré la randomisation (stratifiée sur le score Sokal). Les résultats qui ont suivi n’ont pas été ajustés par rapport à cette variable, probablement car ce n’était pas prévu dans le protocole… On apprend que les taux de réponses diffèrent entre les deux bras selon le score Sokal : les intermédiaires ont plus de répondeurs dans le bras IMA alors que les scores bas sont les plus répondeurs dans le bras NIL.
Si l’on connaît le nombre de switch dans le bras IMA, la présentation ne fait pas état du moment du switch. Une courbe de Kaplan-Meier sur la population du bras IMA aurait permis d’avoir une idée claire sur ce point. Un autre point qui semble essentiel n’a pas été non plus abordé : après l’induction, la population du bras IMA se subdivise en deux sous-groupes, à savoir les patients toujours sous imatinib et ceux (un quart environ) qui ont switché au cours de leur suivi. Il aurait été souhaitable d’avoir comme analyse exploratoire des taux de réponse moléculaire séparément dans ces 2 sous-populations car c’est réellement un point qui nous intéresse avec cet essai : le bénéfice du switch. Des représentations graphiques comme l’incidence de RM4.5 et de RM4.5 durable (BCR/ABL inférieur à 0,0032 sur 2 ans)
entre les deux bras auraient été un plus.