Fini l’intensif chez le sujet âgé…
Des réponses durables sous vénétoclax en combinaison avec de la décitabine ou de l’azacitine chez des patients âgés atteints de leucémie aiguë myéloïde.
Durable response with venetoclax in combination with decitabine or azacitidine in elderly patients with acute myeloid leukemia.
D’après la communication orale de Dinardo C, abstract S1563, EHA 2018.
Contexte de l’étude
Malgré l’amélioration des soins de supports et l’utilisation de nouvelles molécules telles que les agents hypométhylants (i.e. azacitidine, décitabine), le pronostic de la leucémie aiguë myéloïde (LAM) du sujet âgé de plus de 70 ans reste extrêmement défavorable. Les traitements intensifs et la greffe de moelle ne sont généralement pas réalisables chez cette population fragile. De plus, les prises en charge de faible intensité ne permettent que des réponses de courtes durées avec une médiane de survie globale chez les plus de 70 ans inférieure à 1 an selon les séries. Bcl2 est une protéine anti-apoptotique de localisation membranaire au niveau de la mitochondrie, et empêche l’homodimérisation de Bax, de Bak et de certaines autres protéines pro-apoptotiques multi-domaines de la même famille. À l’instar des pathologies lymphoïdes, cette protéine s’est révélée être fréquemment surexprimée dans les LAM en faisant une cible thérapeutique de choix(1). Le vénétoclax, un inhibiteur de Bcl2, a démontré son activité anti-leucémique en monothérapie notamment chez des sujets âgés non éligibles à la chimiothérapie intensive(2). De plus, des données précliniques semblent indiquer que les combinaisons d’agents hypométhylants (i.e. azacitidine (AZA), décitabine (DEC)) et le VEN pourraient se montrer synergiques(3).
Objectifs de l’étude
Alors que des données préliminaires de la phase 1b portant sur 22 patients avaient été présentées lors de l’ASH 2015, Dinardo et al. ont rapporté cette année les résultats de la phase d’expansion portant sur 145 patients âgés de plus de 65 ans atteints de leucémie aigüe myéloïde au diagnostic, inéligibles à un traitement intensif, traités par VEN + AZA ou DEC.
Résultats de l’étude
La médiane d’âge de la cohorte était de 74 ans (43% ≥ 75 ans) et 37% des patients avaient une infiltration médullaire ≥ 50%. Quarante-neuf pourcents des patients présentaient une cytogénétique défavorable (exclusion des cytogénétiques favorables) et 25% une LAM secondaire. Sur le plan moléculaire, 10 et 11% des malades étaient mutés pour FLT3-ITD et TP53 respectivement. Suite à la phase d’escalade de doses, 2 groupes de dose de VEN ont été retenus. Les patients recevaient soit 400mg (bras 1) soit 800mg (bras 2) de J1-J28, associé à de l’azacitidine (75mg/m2 J1-J7) ou à la décitabine (20mg/m2 J1-J5) (figure 1). Sur le plan de la tolérance, des neutropénies fébriles ont été observées de grade 3-4 chez 31% des patients avec une mortalité à 60 jours à 8% (quel que soit la dose de VEN). En revanche, seul ¼ des patients ont expérimenté une thrombopénie ou une anémie de grade III-IV. Aucun syndrome de lyse tumoral n’a été reporté. Au total, le taux de réponse complète composite (RCc=RC+RCi) était de 67% sans grande différence selon l’agent hypométhylant utilisé. En revanche, un léger avantage en faveur du VEN 400mg en termes de RCc a été observé (73.5% à 400mg vs 66.5% à 800mg) faisant retenir la dose de 400mg comme optimale. Les taux de réponses étaient légèrement inférieurs chez les patients à cytogénétique défavorable (31% défavorables vs 43% intermédiaires) mais comparables entre les groupes d’âge (35% chez les < 75 ans vs 40% chez les ≥ 75 ans) (figure 2). Sur le plan de la réponse moléculaire, 30% des patients avaient une maladie résiduelle indétectable (MRD) en cytométrie de flux (seuil à 10-3). Malheureusement, ces résultats de MRD n’ont pas encore été corrélés à la durée de réponse. Avec un suivi médian de 15.8 mois, la survie globale médiane était de 17.5 mois
sans différence notable entre les différentes doses de VEN ou d’agent hypométhylant (HMA). En revanche, la combinaison VEN+HMA semblait bénéficier le plus aux LAM secondaires (N=24) en termes d’OS (OS médiane non atteinte) comparativement aux autres groupes de patients (LAM de
novo : 9.4 ; intermédiaire : 12.9 mois ; défavorables : 6.7 mois).
Quels impacts sur la les connaissances et les pratiques cliniques ?
Bien évidemment, les résultats de cette étude sont préliminaires mais apportent pour une fois de l’espoir quant à la prise en charge des LAM du sujet âgé. En effet, les possibilités thérapeutiques sont généralement restreintes, tout particulièrement chez les plus de 70 ans pour qui les schémas intensifs peuvent être associés à une forte morbidité/mortalité ainsi que des durées de réponses courtes. De plus, l’intensif ne fait pas forcément mieux en terme d’OS voir même parfois pire en termes de qualité de vie que des schémas moins lourds (i.e. aracytine sous-cutané, HMA) notamment chez les malades à cytogénétique défavorable. Chez des patients de plus de 70 ans, la chimiothérapie intensive permet d’obtenir une OS médiane de l’ordre de 12 mois et une survie à 3 ans de 20-30%(4). Même si l’on pourrait discuter le «design» original et/ou la méthodologie utilisée lors de cette phase 1 (cf. analyse statistique/ méthodologie), il n’en reste pas moins que la combinaison VEN+HMA semble être associée à des taux de RC comparables à ceux observés avec des traitements intensifs au prix d’une toxicité acceptable et moins de 10% de mortalité à J+60. À titre de comparaison dans l’essai prospectif AZA-AML001, la durée médiane de survie dans le bras azacitidine seul était de 10.4 mois chez des patients âgés de plus 65 ans (âge médian : 75 ans) avec des taux de RCc de 28.5% et une mortalité précoce de 7.5%(5). Fort de ces résultats, il conviendrait d’identifier quels patients seraient les plus susceptibles de bénéficier de ce type de combinaison. À noter que 15% des patients présentaient une mutation IDH1/2 sans pour autant que les auteurs n’aient communiqué sur leurs taux de réponse. En effet, des données précliniques semblent indiquer que les mutations affectant le domaine catalytique d’IDH1/2 pourraient conférer une plus forte sensibilité aux inhibiteurs de Bcl2 (6). On regrettera également dans ce travail l’absence de corrélation entre la MRD et la durée de réponse clinique. Quoi qu’il en soit, il faudra attendre les résultats de phase III évaluant l’intérêt de l’ajout du VEN sur un «backbone» semi-intensif (NCT03069352, NCT02993523) avant d’en faire un standard de traitement chez le sujet âgé.
Critique méthodologique
Protocole :
« Phase 1b et phase d’expansion », qui a en tête les phases du développement d’un médicament a de quoi en perdre son latin. Un petit rappel s’impose. La phase I (évaluation de la tolérance et de la pharmacocinétique) concerne des essais sur un petit nombre de sujets (en cancérologie, les sujets seront des patients malades, mais plus généralement cette phase se fait plutôt sur volontaires sains), avec une augmentation très progressive des doses. La phase II (détermination de l’efficacité du produit chez le patient malade). On parle de phase IIa réalisée sur un petit groupe de patients, qui permet de déterminer si le médicament est actif dans la maladie ciblée et donc de décider de la poursuite du développement ; et de phase IIb qui permet de définir la dose optimale à utiliser (celle qui permet d’obtenir la meilleure efficacité avec le minimum d’effets indésirables) et de continuer à évaluer les effets indésirables comme cela est fait à toutes les étapes du développement. Les phases III (évaluation de l’efficacité et de la tolérance dans des conditions proches de la pratique courante) et phase IV (études réalisées après la mise sur le marché) ne seront pas détaillées ici. Il n’est pas rare en cancérologie de justifier plusieurs phases dans un même essai. De même la notion de phase pilote est assez peu utilisée, et la phase d’expansion préférée à la poursuite d’un essai. Attention cependant aux biais méthodologiques qui pourraient en découler. Il n’a pas été précisé si les 22 patients de la phase 1b présentée à l’ASH 2015 sont inclus dans les 145 patients de la phase d’expansion, ni si les profils de patients diffèrent.
Recherche de doses :
C’est la méthode d’escalade de doses 3+3 qui a été choisie. Un focus spécifique « Phase précoce et design 3+3, cf.page75 » a été rédigé dans ce numéro, qui précise que la dose obtenue en fin d’essai de ce type ne correspond à la dose maximale réelle que dans 30% des cas tout en exposant un nombre important de patients à des doses subthérapeutiques. Les stratégies basées sur des modèles mathématiques tel que le design dit de réévaluation continue (Continual Reassessment Method, CRM) sont plus pertinentes dans nombre de cas (cf. focus «Phase précoce et design CRM»). Enfin, le choix de comparer ensuite deux groupes de patients à deux doses différentes (du simple au double) n’a pas été explicité.
Références
- Campos L, Rouault JP, Sabido O et al. High expression of bcl-2 protein in acute myeloid leukemia cells is associated with poor response to
chemotherapy. Blood 1993; 81(11):3091-6. - Konopleva M, Pollyea DA, Potluri J et al. Efficacy and Biological Correlates of Response in a Phase II Study of Venetoclax Monotherapy in
Patients with Acute Myelogenous Leukemia. Cancer Discov 2016; 6(10):1106-1117. - Bogenberger JM, Delman D, Hansen N et al. Ex vivo activity of BCL-2 family inhibitors ABT-199 and ABT-737 combined with 5-azacytidine in
myeloid malignancies. Leuk Lymphoma 2015; 56(1):226-9.