Le lénalidomide avant la transfusion dans les SMD avec del(5q)

Last Updated: 2 January 2024
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Évaluation du lénalidomide (LEN) vs. placebo chez les patients atteints de SMD avec del(5q) sans besoins transfusionnels. Résultats finaux de l’étude clinique internationale de phase 3 randomisée SINTRA-REV. 

Evaluation of Lenalidomide (LEN) Vs Placebo in Non-Transfusion Dependent Low Risk Del(5q) MDS Patients. Final Results of Sintra-REV Phase III international Multicenter Clinical Trial.

D’après la communication orale de Félix López Cadenas et al. Abstract #460, ASH 2022.

Contexte de l’étude

Le lénalidomide est reconnu depuis longtemps comme la thérapeutique de choix chez les patients atteints de SMD de bas risque avec del(5q) dépendants des transfusions(1). Dans les cas où les patients ne sont pas encore dépendants des transfusions, les options disponibles pour le clinicien sont l’abstention thérapeutique ou l’administration d’agents stimulant l’érythropoïèse(2). La question posée par le groupe espagnol est de savoir quel pourrait être l’avantage clinique d’administrer le lénalidomide à faible dose avant l’apparition d’une dépendance transfusionnelle. Les résultats préliminaires de cette étude avaient déjà été présentés à l’ASH en 2020 mais ne sont pas encore publiés(3).

Objectifs de l’étude

Il s’agit d’une étude de phase 3 randomisée contre placebo. Les patients inclus étaient des SMD avec del(5q) isolée (ou avec une seule anomalie additionnelle), une anémie avec un taux d’hémoglobine inférieur à 12 g/dL, sans besoins transfusionnels, et un score IPSS Low ou Int-1. Ils étaient randomisés 2:1 entre le lénalidomide à 5 mg/j en continu (28 jours sur 28) et un placebo. Le traitement était prévu pour une durée de deux ans (108 semaines). Au-delà de ce terme, les patients étaient simplement surveillés. Le cross-over n’était pas autorisé. L’objectif principal de l’étude était la non-dépendance transfusionnelle, et les objectifs secondaires comprenaient la tolérance, la réponse érythroïde, la durée de l’indépendance transfusionnelle, et la réponse cytogénétique. 

Résultats de l’étude

Les patients ont terminé la phase de traitement de 2 ans en mars 2020. La base a été clôturée en juin 2022. Les caractéristiques des patients sont présentées dans la figure 1. 

Figure 1 : caractéristiques des patients.

Il s’agissait sans surprise majoritairement de femmes (80%), avec des diagnostics essentiellement de SMD avec del(5q).  La durée du traitement était déséquilibrée entre les deux groupes, avec 95 semaines en médiane dans le groupe lénalidomide et 42 semaines dans le groupe placebo. Les causes d’arrêt étaient essentiellement la progression (qui comportait l’apparition de besoins transfusionnels). L’efficacité était au rendez-vous avec 75% d’indépendance transfusionnelle dans le groupe lénalidomide vs. 35% dans le groupe placebo. La médiane de survie sans transfusion n’était pas atteinte dans le groupe lénalidomide, vs. 11 mois dans le groupe placebo (figure 2).

Figure 2 : temps jusqu’à la dépendance transfusionnelle (objectif principal).

La réponse érythroïde était de 77,8% vs. 0%, et la réponse cytogénétique de 94% vs. 0% dans les groupes lénalidomide et placebo, respectivement. 

Sur le plan de la tolérance, les toxicités étaient principalement gastro-intestinales (46%), et des rash (28,6%) essentiellement grade 1-2 dans le groupe lénalidomide. Parmi les toxicités grade 3-4 on note 1 rash, 1 thrombose, et 4 tumeur solides (10%) dans le groupe lénalidomide, ainsi qu’une tumeur solide dans le groupe placebo. Comme attendu, une neutropénie grade 3-4 était retrouvée dans 44% des cas de patients traités avec le lénalidomide, et la thrombopénie était principalement grade 1-2 (13%). Il n’y avait pas d’impact sur l’évolution en leucémie aiguë myéloblastique. Les mutations les plus fréquemment retrouvées étaient sans surprise SF3B1 et TP53, avec des VAF qui ont diminué chez la plupart des patients en cours de traitement par lénalidomide. En particulier, les 6 patients mutés TP53 ont répondu au lénalidomide, avec une réduction du clone TP52 chez 5 d’entre eux. 

Au final, les auteurs concluent que le lénalidomide retarde l’évolution vers une dépendance transfusionnelle, avec une réponse érythroïde de 77%, et une large majorité de réponses cytogénétiques. Ils évaluent la tolérance comme acceptable. Lors des questions, un participant a demandé si cette approche modifierait la pratique, ce à quoi la présentatrice a répondu positivement. 

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

À l’instar de ce qui a déjà été publié avec les agents stimulant l’érythropoïèse dans les SMD non dépendants des transfusions, montrant une réponse érythroïde prolongée(4), une action précoce sur une maladie susceptible d’évolution apporte logiquement une réduction du clone, une réponse cytogénétique, une réponse érythroïde et une prolongation de l’indépendance transfusionnelle par rapport à un placebo. Il n’y a pas de nouveau signal de tolérance avec le lénalidomide qui est maintenant une molécule bien connue des hématologues. Dans ce contexte, on peut tout à fait se projeter dans la prescription précoce de lénalidomide chez un patient atteint de SMD avec del(5q) non encore dépendant des transfusions, même si cette approche est pour le moment hors-AMM. 

Critique méthodologique

Il s’agit d’un essai de phase 3, randomisé en double aveugle. Le design, les objectifs et les résultats de l’étude sont clairement présentés par l’auteur. L’analyse des données a porté sur la population en intention de traiter comme recommandé pour ce type d’essai, ainsi tous les patients randomisés ont été analysés en fonction de leur de bras de randomisation. Pour une phase 3, l’effectif de l’étude est assez faible mais est probablement justifié par les hypothèses attendues (non présentées ici) dans les deux groupes. Concernant l’objectif principal, il repose sur le temps jusqu’à la dépendance transfusionnelle. Il s’agit d’une donnée de survie dont l’analyse peut être spécifique. En effet, avec ce type de données, il faut faire attention aux patients décédés sans dépendance transfusionnelle. C’est ce qu’on appelle des risques compétitifs puisqu’ils empêchent l’observation du critère d’intérêt. Ces décès en question, ont ici été ignorés et donc classés comme une censure puisque des hazard ratios (HR) ont été estimées, a priori par un modèle de Cox (analyse classique d’une données survie, figure 2). La méthode appropriée serait de réaliser plutôt des courbes d’incidence cumulée de la dépendance transfusionnelle et estimer le risque de dépendance via un modèle de Fine et Gray pour prendre en compte des risques compétitifs. Toutefois avec cette méthode, il est probable d’observer également une différence significative mais moins importante entre les deux bras. Si l’on regarde de plus près, l’auteur semble s’emmêler un peu avec le résultat principal car l’analyse présentée dans l’abstract porte plutôt sur la survie sans dépendance transfusionnelle qui est correctement analysée et dont la différence est également significative (HR : 0.414, IC95% : 0.196- 0.875, p=0.021). De plus, lors de la présentation, le résultat du critère principal est présenté de manière discordante : une courbe de survie (figure 2) et sous forme d’un évènement dichotomique oralement par l’auteur.

Références 

  1. Fenaux, P., Giagounidis, A., Selleslag, D., Beyne-Rauzy, O., Mufti, G., Mittelman, M., Muus, P., te Boekhorst, P., Sanz, G., del Cañizo, C., Guerci-Bresler, A., Nilsson, L., Platzbecker, U., Lübbert, M., Quesnel, B., Cazzola, M., Ganser, A., Bowen, D., Schlegelberger, B., … Hellström-Lindberg, E. (2011). A randomized phase 3 study of lenalidomide versus placebo in RBC transfusion-dependent patients with Low-/Intermediate-1-risk myelodysplastic syndromes with del5q. Blood, 118(14), 3765–3776. https://doi.org/10.1182/BLOOD-2011-01-330126.
  2. Fenaux, P., Santini, V., Spiriti, M. A. A., Giagounidis, A., Schlag, R., Radinoff, A., Gercheva-Kyuchukova, L., Anagnostopoulos, A., Oliva, E. N., Symeonidis, A., Berger, M. H., Götze, K. S., Potamianou, A., Haralampiev, H., Wapenaar, R., Milionis, I., & Platzbecker, U. (2018). A phase 3 randomized, placebo-controlled study assessing the efficacy and safety of epoetin-α in anemic patients with low-risk MDS. Leukemia, 32(12), 2648–2658. https://doi.org/10.1038/S41375-018-0118-9.
  3. López Cadenas, F., Lumbreras, E., Xicoy, B., Sánchez, J., Coll, R., Slama, B., Hernandez-Rivas, J. A., Thepot, S., Bernal, T., Arrizabalaga, B., Guerci-Bresler, A., Sanz, G. F., Bargay, J., Amigo, M. L., de Paz, R., Nomdedeu, B., Giagounidis, A., Platzbecker, U., Wickenhauser, S., … Diez-Campelo, M. (2020). Phase 3 Study of Lenalidomide (LEN) Vs Placebo in Non-Transfusion Dependent (TD) Low Risk Del(5q) MDS Patients – Interim Analysis of the European Sintra-REV Trial. Blood, 136(Supplement 1), 28–29. https://doi.org/10.1182/BLOOD-2020-140339.
  4. Park, S., Kelaidi, C., Sapena, R., Vassilieff, D., Beyne-Rauzy, O., Coiteux, V., Vey, N., Ravoet, C., Cheze, S., Rose, C., Legros, L., Stamatoullas, A., Escoffre-Barbe, M., Guerci, A., Chaury, M. P., Fenaux, P., & Dreyfus, F. (2010). Early introduction of ESA in low risk MDS patients may delay the need for RBC transfusion: A retrospective analysis on 112 patients. Leukemia Research, 34(11), 1430–1436. https://doi.org/10.1016/J.LEUKRES.2010.05.030.

Auteurs/autrices

  • Emmanuel GYAN

    Hématologue, PU-PH.
    Expertises : syndromes myélodysplasiques, lymphomes. Membre du GFM, FILO, EHA, LYSA et ASH.
    Liens d'intérêts : Abbvie, BMS, Novartis.
    Correspondance : CHU de Tours Service d’hématologie et thérapie cellulaire 2 boulevard Tonnellé, 37044 Tours Cedex.
    emmanuel.gyan@univ-tours.fr

  • Marouane BOUBAYA

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