Le ruxolitinib dans la LMMC ?

Last Updated: 2 January 2024
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Efficacité et tolérance du ruxolitinib pour le traitement de la leucémie myélomonocytaire chronique symptomatique (LMMC) : résultats d’une étude clinique du phase 2 multicentrique. 

Efficacy and Safety of Ruxolitinib for Treatment of Symptomatic Chronic Myelomonocytic Leukemia (CMML): Results of a Multicenter Phase II Clinical Trial.

D’après la communication orale de Eric Padron et al. Abstract #457, ASH 2022.

 

Contexte de l’étude

La leucémie myélomonocytaire chronique (LMMC) est une forme rare de syndrome myélodysplasique/myéloprolifératif dans laquelle les options thérapeutiques ne sont pas nombreuses. En effet l’essai DACOTA du GFM n’a pas montré de supériorité de la décitabine
par rapport à l’hydroxyurée (ASH 2020, abstract #654), et il n’y a pas d’option curative en dehors de l’allogreffe. Plus récemment un groupe autrichien retrouve dans une cohorte de 949 patients atteints de LMMC, une association entre l’administration d’agents déméthylants et une survie de 20,7 mois contre 15,4 mois avec l’hydroxyurée, et 14 mois pour la chimiothérapie intensive(1). À noter que les agents déméthylants n’avaient pas d’effet sur la survie dans les formes LMMC-0. 

Dans ce contexte, la prise en charge de la LMMC est souvent palliative, avec pour options l’abstention thérapeutique, l’hydroxyurée et les agents déméthylants, selon l’expérience du clinicien. 

Il peut exister des symptômes associés aux cytopénies, comme la fatigue, les infections, ou un syndrome hémorragique, comme on peut observer aussi une splénomégalie parfois symptomatique. 

L’intérêt de cette étude est de tenter d’avoir une action thérapeutique sur les symptômes associés, avec un médicament déjà disponible dans la pharmacopée. 

Objectifs de l’étude

Le Dr Padron a présenté une étude de l’intérêt du ruxolitinib dans la LMMC, qui faisait suite à une petite étude de phase précoce précédemment publiée, avec un taux de réponse de 36% sur des critères cliniques. La présente étude était une étude de phase 2 prospective multicentrique, dont l’objectif principal était la réponse globale, avec parmi les objectifs secondaires la réponse symptomatique évaluée par le patient avec l’échelle MPN-SAF TSS. Les critères d’inclusion étaient une LMMC avec une splénomégalie symptomatique ou un score MPN TSSS > 17, non traitée ou ayant reçu des agents déméthylants, avec plus de 250 PNN/mm3, et des plaquettes à plus de 35 G/L. Le ruxolitinib
était administré à la posologie de 20 mg deux fois par jour.

Résultats de l’étude

Les caractéristiques des patients étaient les suivantes : 29 patients, dont une majorité de LMMC-0, plutôt de bas risque selon les scores MDASC et haut risque selon celui de la MAYO. La splénomégalie était présente chez deux tiers d’entre eux, et leur profil moléculaire comportait majoritairement les mutations de TET-2 et SRSF2 (figure 1), et 20% de mutations JAK2. 

Figure 1 : caractéristiques des patients et profil moléculaire.

Concernant la réponse hématologique médullaire, elle était de 17%. La durée de traitement médiane était de 9 mois. L’arrêt du ruxolitinib était principalement dû à la progression. Cependant, les auteurs affirment que 66% des patients ont eu un bénéfice clinique, notamment par la réduction du volume splénique (figure 2), mais aussi par la réduction du score TSS de plus de 50% chez 54% des patients. La survie globale était de 24 mois à partir du diagnostic, avec la moitié des patients qui ont commencé le ruxolitinib à 3 mois du diagnostic.

Figure 2 :
évolution du volume splénique sous ruxolitinib.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Les auteurs pensent que le ruxolitinib a une activité clinique dans la LMMC symptomatique ou avec splénomégalie comparable à celle observée dans la myélofibrose. L’un des participants a fait remarquer que les critères de réponse ne comportaient pas les monocytes. L’auteur a admis ce fait, en précisant qu’ils n’ont généralement pas observé de baisse de la monocytose, ce qui souligne le fait que le ruxolitinib dans cette population n’a surtout d’effet que sur la splénomégalie quand elle est présente, et en présence de symptômes gênants pour le patient. 

En pratique la place du ruxolitinib dans la LMMC n’est pas claire, n’a pas d’action hématologique significative, et pourrait avoir une action sur les symptômes plus que sur la maladie. En outre, il est susceptible d’aggraver les cytopénies, et ne peut probablement pas être recommandé actuellement en dehors d’un essai clinique.

 

Critique méthodologique

Cette étude de phase 2 monobras a pour principal but d’estimer le taux de réponse du ruxolitinib. Aucune précision sur la méthodologie n’a été apportée dans l’abstract, ni dans la présentation orale. Il est difficile de connaître les attentes des auteurs à propos des résultats d’efficacité. Le synopsis de l’étude enregistré sur le clinicaltrials.gov (NCT03722407), ne fournit pas plus de détail sur la méthode. Nous comprenons qu’il s’agit probablement d’un schéma classique d’une phase 2 en une seule étape. 

L’objectif de ce genre d’étude est de déterminer l’efficacité, en estimant la réponse au traitement. Une hypothèse doit alors être formulée à la conception de l’étude pour calculer le nombre de sujets nécessaire et ainsi établir une règle de décision qui permettra de conclure à la fin de l’étude à l’efficacité ou non du traitement. 

Cette hypothèse, qui n’a pas été avancée par l’auteur, est basée sur une comparaison à une donnée historique ou un taux d’inefficacité supposé. De plus, les estimations du taux de réponse ne sont pas présentées avec des intervalles de confiance. Cela est primordial dans ce genre d’étude pour juger du niveau de certitude que fournissent les résultats de l’étude. 

Enfin, la définition de la réponse repose sur un critère « dur » qui est la meilleure réponse, d’après international Working Group (IWG), et/ou un bénéfice clinique qui n’a pas été explicitement défini. Dans le clinicaltrials.gov, il est simplement précisé qu’il s’agit d’une amélioration hématologique (quels sont paramètres et seuils utilisés ?).

Références

  1. – Pleyer, L., Leisch, M., Kourakli, A., Padron, E., Maciejewski, J. P., Xicoy Cirici, B., Kaivers, J., Ungerstedt, J., Heibl, S., Patiou, P., Hunter, A. M., Mora, E., Geissler, K., Dimou, M., Jimenez Lorenzo, M. J., Melchardt, T., Egle, A., Viniou, A. N., Patel, B. J., … Greil, R. (2021). Outcomes of patients with chronic myelomonocytic leukaemia treated with non-curative therapies: a retrospective cohort study. The Lancet Haematology, 8(2). https://doi.org/10.1016/S2352-3026(20)30374-4

Auteurs/autrices

  • Emmanuel GYAN

    Hématologue, PU-PH.
    Expertises : syndromes myélodysplasiques, lymphomes. Membre du GFM, FILO, EHA, LYSA et ASH.
    Liens d'intérêts : Abbvie, BMS, Novartis.
    Correspondance : CHU de Tours Service d’hématologie et thérapie cellulaire 2 boulevard Tonnellé, 37044 Tours Cedex.
    emmanuel.gyan@univ-tours.fr

  • Marouane BOUBAYA

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