Natalité et BEACOPP, des données rassurantes

Last Updated: 19 October 2022Tags:

Taux de natalité des patients porteurs d’une maladie de Hogkin et traités par ABVD et/ou BEACOPP en Suède, en Norvège ou au Danemark.

Childbearing among classical hodgkin lymphoma survivors treated with beacopp and abvd in sweden, denmark, and norway.

D’après la communication orale de P Entrop et al. Abstract #S202, EHA 2022.

 

Contexte de l’étude

La maladie de Hodgkin est le lymphome le plus fréquent de l’adulte jeune entre 18 et 40 ans ; cette période correspond également au maximum de natalité dans la population européenne et nord-américaine. La stratification des traitements aux risques permet d’épargner une part de toxicité gonadique de nos chimiothérapies, cependant les données à long terme sur la natalité de nos patients nous échappent souvent (Ovlisen, J Clin Oncol 2021). Encore une fois les registres de nos collègues du Nord de l’Europe apportent leur pierre à l’édifice, avec cependant des trous dans la raquette des données rapportées.

Objectifs de l’étude

Analyse de 3 registres nordiques. Ont été inclus les maladies de Hodgkin classiques avec un suivi débuté à 9 mois du diagnostic jusqu’à la première naissance, le décès, 10 ans de suivi, une raison administrative de censure ou la rechute pour les femmes (accès limité aux techniques de conservation de la fertilité, sans plus de détails). Les données ont été analysées avec un ajustement sur l’âge au diagnostic, le sexe, la période de traitement, le fait d’avoir déjà des enfants et le Performans Status.

Les données présentées sont celles de l’incidence cumulée de la natalité jusqu’à +10 ans, standardisée à la population générale en fonction des traitements reçus.

Résultats de l’étude

Environ 3200 patients des registres été inclus (depuis 1995 pour le registre norvégien), ce sont les données complètes de 2 451 patients qui sont finalement présentées. Les auteurs ont exclu les lymphomes de Poppema, et les patients décédés/ayant rechuté ou ayant eu des enfants avant 9 mois après le diagnostic. Les auteurs ont également exclu les patients traités par d’autres schémas que l’ABVD seul et le BEACOPP seul (6-8 cycles). Sur la totalité des patients analysés (tous traitements, y compris hors ABVD et 6-8BEACOPP), il est noté 28% de patients avec au moins une naissance dans les 10 ans qui ont suivi le diagnostic, dont un tiers avec >1 naissance. Soixante pourcents des patients avaient entre 26 et 40 ans, et 66% étaient nullipares.

Pour les patientes, il est noté 30% de naissances après ABVD et 25% après BEACOPP, ce qui représente des taux de natalité respectifs de 48 et 40 pour 1000 personnes-années, sans différence significative entre les deux régimes. Pour les patients, il est noté 29% de naissances après ABVD et 17% après BEACOPP, ce qui représente des taux de natalité respectifs de 46 et 24 pour 1000 personnes-
années, avec une diminution franche en défaveur des patients traités par BEACOPP (HR=0.51, sans ajustement, et 0.55 avec ajustement sur les covariables décrites) (tableau 1).

Les courbes d’incidence cumulées standardisées à la population sont présentées, qui mettent en évidence des profils très superposables entre ABVD et BEACOPP pour les patientes, tandis que l’incidence cumulée pour les patients traités par BEACOPP s’infléchit très franchement (figures 1&2).

Tableau 1 : taux de natalités absolus dans les 10 ans après la fin d’un traitement pour une maladie de Hodgkin en 1ère ligne. Données brutes, relatives au groupe ABVD [« Crude HR »], et relatives au groupe ABVD ajustés pour les variables d’intérêt (cf. objectifs ; « Adjusted HR »).

Figure 1&2 : indicences de natalité pour la population traitée par BEACOPP ; 1) féminine et 2) masculine.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Cette étude internationale, explorant les données par sexe de reproduction post-traitement d’une maladie de Hodgkin sont relativement rassurantes, d’autant plus que ne sont pas pris en compte nos stratégies de désescalade en cas de réponse optimale. Cependant, plusieurs questions ne trouvent pas de réponses dans ces données : aucune information n’est donnée sur les recours aux techniques de préservation de la fertilité qui ont été nécessaires pour obtenir ces résultats. Les données du registre danois (1)
mettent en évidence une utilisation des techniques de PMA pour 21% des hommes et 13% des femmes.  Par ailleurs, et bien que les ajustements aient été faits, il aurait été intéressant de présenter les différents régimes de traitements en fonction des catégories d’âges. Il n’existe pas d’information claire sur l’écart important de natalité entre ABVD et BEACOPP chez les hommes : suivi trop court de 10 ans pour mettre en évidence des différences de comportement ? Patients ABVD plus âgés ?

Nous pouvons rassurer nos patient(e)s sur leurs capacités à procréer, à condition de savoir les guider vers les techniques adéquates de préservation de fertilité.

Critique méthodologique

Ces données récoltées depuis les années 1990 dans 3 pays nordiques sont réputées fiables car les registres sont considérés comme exhaustifs et croisés avec les données de sécurité sociale. Étude internationale certes, mais qui ne se concentre que sur 3 pays du Nord de l’Europe (Danemark, Norvège et Suède), ce qui constitue une population assez caractéristique (type caucasien très majoritairement, en termes de mode de vie, de parcours de soin, etc.). Des données démographiques de références sur les taux de natalité par classe d’âge dans ces 3 pays sur ces mêmes périodes auraient été également bienvenues pour situer le contexte.

L’essentiel de cette étude rétrospective se focalise sur l’effet de deux traitements (ABVD et BEACOPP) sur la natalité de patients atteints de lymphomes, avec des analyses en sous-groupes selon le sexe. Au vu des effectifs analysés, les analyses diverses ne souffrent pas de problème de puissance. Afin de contrecarrer les biais entre la population de patients ayant pris de l’ABVD et celle ayant reçu du BEACOPP, des modèles ajustés ont été effectués, tenant compte des divers paramètres en présence (âge, année du diagnostic, nulliparité, stade de la maladie, etc.), sans pour autant rendre compte de l’effet de ces variables sur la natalité à travers des analyses univariées. Comme choix de régression, les auteurs ont tablé sur des modélisations de Cox cause-spécifiques, c’est-à-dire se focalisant sur un événement donné (ici la natalité) et qui censure les événements compétitifs au moment de leur survenue (comme le décès dans le cas présent). Ainsi, on obtient une estimation du hazard-ratio plus juste qu’en simple analyse univariée (mais pas forcément la plus
« vraie » si il manque des facteurs de confusion). Les p-values ne sont pas présentées dans les tables mais les intervalles de confiance permettent de déterminer la significativité des résultats (si les intervalles de confiance de 95% sont inférieurs à 1, c’est significatif).

La question de l’utilisation d’une régression de Fine & Gray se pose légitiment, parce que plus approprié que Cox dans ce contexte. En effet, elle tient compte des risques compétitifs dans l’estimation des hazard-ratios, alors que dans cette étude on ne sait pas comment se comporte l’ensemble des variables (traitement, âge, stade, etc.) sur le décès, par exemple. Cela ne permet pas pleinement de corroborer leurs résultats. De plus, si la méthode de Kaplan-Meier a été utilisée pour représenter les courbes d’incidence, celles-ci sont de facto surestimées. Là encore il faut prêter attention à cette faiblesse méthodologique.

Les auteurs font état de plusieurs limites sur cette étude de cohorte, comme le fait de manquer d’informations sur les comorbidités dans la population norvégienne (ce qui constitue généralement un paramètre important), mais on se rend bien compte qu’il y en a davantage que prévu. Une analyse par pays aurait été souhaitée également.

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