Quid de la greffe chez les patients âgés de plus de 60 ans ?
Étude prospective de la disponibilité de donneurs HLAcompatible et la survie en rémission chez des sujets âgés atteints de LAM : 1ère analyse intérimaire de l’essai de phase III ECOGACRIN E2906 chez des patients âgés de plus de 60 ans.
Prospective study of HLA-matched donor availability and survival in remission after AML in older adults: 1st planned analysis from ECOGACRIN
E2906 phase III randomized trial in patients age ≥ 60 years.
D’après la communication orale de Foran JM, abstract S857, EHA 2018.
Contexte de l’étude
Il est aujourd’hui bien admis que l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (HSCT) permet de diminuer le risque de rechute ainsi que d’augmenter la survie chez les patients de moins de 60 ans atteints de leucémie aiguë myéloïde (LAM) de risque cytogénétique intermédiaire et défavorable en première rémission. Même si les soins de supports se sont considérablement amélioré, il n’en reste pas moins que cette procédure reste associée à une morbidité (infections, réaction du greffon contre l’hôte aiguë (GVHDa) et chronique (GVHDc)) et une mortalité (rechute, mortalité liée à la greffe (TRM)) non négligeable, limitant son utilisation chez les patients les plus âgés. Alors que les indications de greffes concernent entre 70 et 75% des LAM au diagnostic, la LAM affecte majoritairement les patients de plus de 60 ans (âge médian : 67 ans), population chez qui l’HSCT peut s’avérer particulièrement toxique. Depuis une 20e d’années se sont développés des conditionnements dits atténués (RIC), réservés aux patients de plus de 45 ans ou ayant des scores de comorbidités (HCT-CI) élevés, ayant permis de réduire la TRM de la procédure au prix d’un risque de rechute plus important(1). Cependant, il n’y a que très peu de données dans la littérature sur le positionnement de la greffe et de ces indications chez les patients âgés de plus de 60 ans par rapport à de la chimiothérapie intensive seule. Dans une étude rétrospective portant sur 94 patients âgés de plus de 60 ans allogreffés (RIC), Farag SS et al. ont montré que l’HSCT permettait de réduire significativement le risque de rechute (32% vs 81% à 3 ans, p<0,001) sans pour autant améliorer la survie
globale (OS) (37% vs 25% à 3 ans, p=0,08) en comparaison d’une cohorte «matchée» traitée par chimiothérapie seule en consolidation(2). Kurosawa S et al. ont retrouvé des résultats similaires sur une cohorte rétrospective de 1036 malades (dont 152 greffés) si ce n’est un bénéfice en OS limité aux patients de risque intermédiaire ELN(3).
Objectifs de l’étude
Le but de ce travail était d’évaluer la faisabilité ainsi que l’impact sur la survie de l’HSCT HLA-compatible 10/10 après un RIC chez des patients âgés de plus de 60 ans traités intensivement pour une LAM dans le cadre du protocole randomisé E2906 (analyse en intention de traiter). Les patients étaient d’abord randomisés afin de recevoir une induction standard suivie de consolidations par aracytine à dose intermédiaire ou de la clofarabine en induction/consolidation(4). Tous les patients éligibles à la greffe et ayant un donneur 10/10 pouvaient être greffés avec un conditionnement fludarabine/busulfan (Flu-Bu) +/- sérum anti-lymphocytaire après avoir reçu au moins 1 cycle de consolidation (greffe protocolaire) et dans les 3 mois de la rémission. Pour les malades ayant obtenu la RC non éligibles à l’HSCT, une seconde randomisation était effectuée entre une maintenance par décitabine ou une simple observation (non rapporté lors du congrès).
Résultats de l’étude
Sur les 727 patients inclus dans l’essai, 360 ont obtenu une RC dont 135 (37,5%) avaient un donneur compatible (apparenté 42%, non apparenté 58%). Sur les 135, seuls 61 malades (16.9% des patients en 1ère RC) ont été greffés selon le protocole (Flu-Bu) et 55 de façon non protocolaire. Les principales raisons ayant empêché la réalisation de la greffe prévue par le protocole étaient l’absence de RC (6,8%), la rechute (10,8%), le refus du patient (12,2%) ou sur décision médicale (24,3%). Au total, 120/135 des patients ayant un donneur ont donc été greffés (soit 16,5% de la cohorte totale incluse dans l’essai). Concernant les caractéristiques cliniques, le groupe de patients non greffés avait une médiane d’âge légèrement plus haute (69 vs 66 ans, p=ns), et étaient en moins bon état général au diagnostic (PS=0; 22,2% vs 35,6%, p=0.03). Après un suivi médian de 37,7 mois, la survie sans évènements médiane (EFS) des 135 patients était de 14,3 mois chez les malades ayant un donneur compatible contre 8,4 mois chez ceux n’en ayant pas (p=0,006). L’OS médiane était également supérieure chez les sujets ayant un donneur compatible (22,1 vs 13,4 mois, p=0,013). En analyse multivariée, la disponibilité d’un donneur chez les patients ayant obtenu un RC semblait conférer un avantage en terme de survie sans que cela ne soit significatif sur l’OS (HR=0,76 ; p=0.09) ni sur la LFS (HR=0,76 ; p=0,07), et ce quel que soit le groupe de risque ELN (intermédiaire : HR=0,86; défavorable : HR = 0,65). Seuls la cytogénétique, le taux de plaquettes initial et le performans status avaient un impact significatif indépendant sur la survie. Concernant les malades ayant été greffé selon le protocole, l’OS médiane était de 27,1 mois avec une mortalité à 30 et 100 jours de 2,8 et 9,7% respectivement.
Quels impacts sur la les connaissances et les pratiques cliniques ?
Au total, cette étude montre que l’allogreffe de moelle est une procédure réalisable dans cette population de sujets âgés traitée de façon intensive, sans pour autant permettre de préciser la place ni la réelle utilité de cette dernière. L’allogreffe semble apporter un avantage en termes de survie (plus spécifiquement chez les défavorables) mais cet effet est probablement écrasé par les différents facteurs confondants, en tout cas dans le modèle d’analyse multivariée utilisé. Il est à noter que les patients avaient reçu avant d’être greffé soit un schéma thérapeutique basé sur la clofarabine ou un 3+7 suivi de consolidations par aracytine à dose intermédiaire. Les résultats de cette partie de l’étude publiée en 2013 avait d’ailleurs conclu que la clofarabine, en dehors d’induire des taux équivalents de RC, faisait à priori moins bien sur la survie qu’une induction suivi de consolidations standards, si ce n’est pour les patients défavorables chez qui les deux bras étaient comparables(4). Cependant, l’absence d’homogénéitéde traitement en pré-greffe introduit une certaine forme de biais. Il aurait été également intéressant de savoir si la proportion de patients ayant reçu de la clofarabine était équitablement répartie entre les deux bras (donneur vs pas de donneur). Enfin, les patients non greffés bénéficiaient d’une seconde randomisation évaluant l’impact de la décitabine en maintenance, pouvant là encore introduire un biais de confusion dans l’interprétation des données de survie. Quoi qu’il en soit, si l’on se focalise uniquement sur les patients greffés selon le protocole (N=61), la TRM à 3 mois était tout à fait acceptable (+/-10%), mais se traduisait par une survie à long terme restant insuffisante (+/-30% de survivant à 5 ans). Une vraie question reste d’identifier les patients les plus susceptibles de bénéficier de l’allogreffe au sein de cette population âgée. En 2017, Gardin et al. ont rapporté les résultats de l’analyse préliminaires de l’étude non interventionnelle ALFA 1200 portant sur les patients âgés de plus de 60 ans ayant été greffés. Avec une médiane d’âge de 64 ans, l’allogreffe de moelle semblait n’être bénéfique que chez les patients de risque ELN défavorable en comparaison de la chimiothérapie seule (HR, 0.20 [95% CI, 0.07-0.63]: p=0.006). Point important également, l’HSCT n’améliorait pas la survie des patients réfractaires ou en rechute comparativement à un rattrapage classique (HR, 0.69 [95% CI, 0.39-1.22]: p=0.21)(5). La question reste donc ouverte en l’absence de données randomisées robustes. Quoi qu’il en soit, les taux de rechute post greffe restent particulièrement élevé dans cette population et de nouvelles stratégies d’immunomodulation ou de maintenance post-HSCT (i.e. inhibiteurs de FLT3) doivent trouver leur place afin d’optimiser le devenir de ces malades.
Critique méthodologique
Des 727 patients enregistrés entre 2011 et 2015, 360 patients en rémission ont été inclus dans cette 1ère analyse prévue dans le protocole.
Méthodologie :
Le design statistique est bien décrit, indiquant une puissance de 82% pour détecter une réduction de 32% (hasard ratio sur la survie globale) avec un test du log-Rank unilatéral mais de niveau 2.5%.
Analyses
Les courbes de survie ont été déterminées par la méthode de Kaplan-Meier (il manque les effectifs qui chutent vite, même si l’effectif de départ est grand). Pour étudier la survie globale (OS) et sans leucémie, une analyse multivariée utilisant des modèles de Cox a été réalisée avec des facteurs de risque établis d’AML. Souvent, l’effet d’au moins un des facteurs pronostiques dans un modèle de régression de Cox change avec le temps, ce qui viole l’hypothèse des risques proportionnels de ce modèle. En conséquence, le rapport de risque moyen pour un tel facteur pronostique est sous-estimé ou surestimé. Bien qu’il existe plusieurs méthodes pour faire face de façon appropriée aux risques non proportionnels, en particulier en incluant des paramètres pour les effets dépendant du temps, l’estimation pondérée dans la régression de Cox est une alternative parcimonieuse sans paramètres supplémentaires. Cette approche permet d’estimer les ratios de risques moyens intuitivement interprétables et fournit des outils d’inférence avec une performance très satisfaisante.