Temps forts dans la LLC à l’ASH 2022

Last Updated: 2 January 2024

Ce congrès de l’ASH a été riche sur le plan clinique avec des thématiques de sessions moins classiques que par le passé. On ne retrouve plus la dichotomie « 1ère ligne/ rechute », « sujets fit / sujet frail ». En effet, le traitement de la leucémie lymphoïde chronique (LLC) a connu une révolution avec l’avènement des thérapies ciblées au cours de la dernière décennie d’une part mais aussi avec le vieillissement plus harmonieux de la population. Cela nous a conduit à considérablement modifier nos pratiques et à ne garder qu’une place restreinte pour l’immuno-chimiothérapie (ICT). Les options continuent de s’étendre avec les inhibiteurs de nouvelle génération et les associations. On parle maintenant, comme dans le myélome, de doublette, de triplette qui font donc l’objet de sessions dédiées. La variété des options disponibles peut être déroutante et leur utilisation optimale sur l’ensemble de l’évolution de la maladie d’un patient n’est pas toujours claire. De plus en plus de patients progressent après avoir reçu des inhibiteurs de la BTK et du vénétoclax, De nouvelles molécules actuellement en phase précoce de développement représentent un espoir pour cette population de patients double voire triple réfractaires (après inhibiteurs de BTK covalents et non covalents). En outre, le syndrome de Richter, la transformation de la LLC en un lymphome agressif, reste un défi clinique majeur du fait des résultats très médiocres obtenus avec les traitements classiques. 

Quelles stratégies de traitement en 1ère ligne ? 

Depuis quelques années maintenant, la maladie résiduelle est au centre de toute les décisions dans les essais et chaque congrès apporte son lot de mises à jour des études chemofree associant en première ligne des thérapies ciblées pour une durée fixe en fonction de l’évolution de la maladie résiduelle (MRD) : avec la doublette ibrutinib + vénétoclax (I+V) chez les sujets fit (étude CAPTIVATE, John N. Allan et al, abstract #92), chez les sujets fragiles (étude GLOW, Carsten U. Niemann et al, abstract #93), chez les patients à haut risque (Nitin Jain et al, abstract #95) ; avec des triplettes iBTK + vénétoclax + anticorps anti CD-20 (essai GAIA -CLL13-, Eugen Tausch et al, abstract #345 et Moritz Furstenau et al, abstract 346, essai GIVe -CLL2-, Henriette Huber et al, abstract #343, essai AVO, Christine E. Ryan et al, abstract #344). Ces schémas de traitement sont de plus en plus matures avec le recul mais ne permettent pas toujours de tirer des conclusions définitives et il devient de plus en plus difficile de choisir une stratégie pour nos patients alors que les essais et les options potentielles se multiplient. Lors d’une session éducationnelle, le Pr Jennifer Brown a fait une présentation très claire de l’état actuel des possibilités thérapeutiques. En ce qui concerne les iBTK en continu, des études randomisées ont montré récemment l’intérêt des 2èmes générations –
efficacité au moins équivalente et meilleure tolérance – par rapport à l’ibrutinib. Leur facilité d’utilisation notamment au moment de l’initiation du traitement qui peut se faire en ambulatoire, l’important recul (avec ibrutinib seulement) et leur intérêt en présence d’une altération de TP53 sont des éléments à prendre en compte dans la décision. D’un autre côté, l’association Ga101 + vénétoclax permet d’obtenir les taux élevés de réponse complète et de maladie résiduelle indétectable notamment chez les patients IGHV mutés et a l’avantage d’être limitée dans le temps avec donc moins d’effets secondaires, moins de pression de sélection clonale et un moindre coût. Les résultats des essais CLL14(1), CAPTIVATE(2, 3)
et GLOW(4, 5) ont conduits à l’obtention d’AMM en 2022 (le remboursement est en cours de discussion avec les autorités de santé). Demain, en pratique courante, on aura le choix entre 2 stratégies chemofree de durée fixe en 1ère ligne : GA101 + vénétoclax (6 mois en association puis 6 mois de vénétoclax seul puis arrêt) ou I+V aux patients pas trop fragiles (l’essai GLOW a montré une toxicité non négligeable dans une population frail et nous n’avons pas de données en vie réelle).  

Les caractéristiques du malade (ses antécédents/comorbidités notamment cardiaques ou rénales, ses traitements en cours) et celle de la maladie (statut IGHV, altération de TP53) guident déjà le choix mais plusieurs essais rapportent cette année des analyses de sous-groupes basées sur des marqueurs moléculaires qui permettront peut-être d’affiner la prise en charge. Il y a en effet 2 présentations orales de l’essai de phase 3 GAIA/CLL13, l’une évaluant l’impact d’anomalies génomiques (abstract #345), l’autre l’impact d’un caryotype complexe (abstract #346) sur l’obtention d’une MRD indétectable et sur la survie sans progression (SSP). L’étude a inclus 926 patients fit sans altération de TP53 randomisés dans 4 bras :1 bras à base d’ICT (FCR -Fludarabine, cyclophosphamide, rituximab- ou BR -Bendamustine, rituximab- selon l’âge, seuil à 65 ans), et 3 bras chemofree de durée fixe à base de vénétoclax (Ven) associé au rituximab (RVen), à l’obinutuzumab (GVen) ou à obinutuzumab et ibrutinib (GIVe). En analyse multivariée, un statut IGHV non muté (55,9% des patients) et NOTCH1 muté (20,5%) restaient des facteurs indépendants de mauvais pronostic quel que soit le bras de traitement ; les mutations de la voie RAF/RAS (9,6%) étaient associées à une SSP plus courte dans le bras chemofree mais pas dans le bras ICT (figure 1). 

Figure 1 : survie sans progression selon les bras de traitement et la présence d’une mutation de NOCTH1 (A) ou de la voie BRAF/NRAS/KRAS (B).

À l’inclusion, 895 caryotypes ont pu être analysés et étaient répartis comme suit : absence de caryotype complexe (<3 anomalies) pour 79,4%, 81%, 83,5% et 87,9% ; caryotype intermédiaire (3 à 4 anomalies) pour 13,5%, 14,7%, 11,5% et 9,4% ; caryotype très complexe (≥ 5 anomalies) pour 7,2%, 4,3%, 5,0% et 2,7% des patients traités par ICT, RVe, GVe et GIVe respectivement. Un caryotype complexe est un facteur de mauvais pronostic indépendant en termes de SSP sous ICT alors que seul un caryotype très complexe et les translocations étaient identifiés dans les bras à base de Ven (figure 2). Parmi les 88 caryotypes analysés à la rechute, il a été mis en évidence une augmentation du nombre d’altérations génétiques après ICT (2,0 à 3,4 en moyenne) par rapport aux bras chemofree (2,1 à 2,0).

Figure 2 : survie sans progression selon les bras de traitement et la présence d’un caryotype complexe (A) ou de translocations (B).

Le syndrome Richter reste encore un défi thérapeutique…

Il s’agit d’une complication grave de la LLC (survie globale -SG- médiane entre 3 à 11 mois) dont la fréquence varie selon les cohortes autour de 10%. Le développement de modèles précliniques a permis une meilleure compréhension de la biologie et par conséquent le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques. Condoluci et al (6), ont résumé début 2022 l’état actuel des connaissances dans ce domaine : il y a non seulement des mutations récurrentes des gènes affectant la réparation de l’ADN, le BCR, le cycle cellulaire, la condensation de la chromatine au sein de la cellule tumorale (figure 3) ; mais également un rôle important du microenvironnement via les checkpoints inhibiteurs qui sont impliqués dans le processus de transformation. La communication entre les cellules tumorales, les cellules dendritiques, les macrophages associés aux tumeurs et les cellules T est établie par contact direct, récepteur chimiokine/cytokine, molécules d’adhésion et interactions ligant-récepteur. Les molécules immuno-inhibitrices (PD-L1 entre autres) aident les cellules tumorales à échapper à la réponse immunitaire et à maintenir la tolérance. Les résultats présentés par Camilla K. Lemvigh et al dans l’abstract #748 vont dans ce sens : l’équipe de recherche a montré que le facteur de transcription ZNF683 régule des voies cellulaires clés impliquées dans la réponse immunitaire anti-tumorale via les lymphocytes T CD8.

Figure 3 : principales voies impliquées dans le développement d’un Richter.

Sur le plan clinique, deux études ont fait l’objet d’une présentation orale. La première (William Wierda et al, abstract #347) rapporte les résultats obtenus avec le pirtobrutinib, un inhibiteur très sélectif, non covalent de BTK, en monothérapie à 200 mg/j, chez 82 patients ayant reçu en moyenne 2 lignes de traitements antérieurs pour le Richter (range 0 à 8). Le taux de réponse globale (TRG) était de 52% (IC95%, 40,2-53,7) dont 10 réponses complètes (RC) et 29 réponses partielles (RP) sur les 75 patients évaluables. Avec un suivi médian de 9,7 mois, la SG médiane de réponse était de 13,1 mois (IC95%, 7,1-NA). Six patients ont arrêté le pirtobrutinib pour être allogreffés et 2% pour des effets indésirables (EI). Les EI les plus fréquents étaient la fatigue (26%), la diarrhée (22%) et des contusions (19%). Parmi les EI de grade ≥ 3, on retrouve neutropénie (20%), hypertension (3%), hémorragie (2%) et AC/FA (1%). La deuxième étude (Arnon P. Kater et al, abstract #348) évalue l’efficacité et la tolérance de l’epcoritumab, un anticorps bispécifique CD3xCD20 qui a déjà montré des résultats prometteurs dans le lymphome B de haut grade(7). Nous détaillerons cet essai dans un article dédié. Ces résultats ouvrent des perspectives pour le développement de combinaison.

Des perspectives pour les patients doubles réfractaires

Les iBTK covalent (iBTKc) de 1ère et 2ème génération ainsi que le vénétoclax ont considérablement modifié la prise en charge de la LLC en améliorant la survie et le taux de rémission durable. Toutefois, une partie des patients échappe à ces thérapeutiques et progresse. Une des causes de progression est l’acquisition d’une mutation au niveau du résidu C481 de la Bruton tyrosine kinase impliqué dans la liaison au médicament et à l’origine d’une résistance à la drogue. Les données d’efficacité des traitements ultérieurs administrés à cette population « double-exposés »
(iBTKc + iBCl2) sont limitées. Les options thérapeutiques envisageables au décours sont limitées : la reprise d’un iBTK de 2ème génération (comme le zanubrutinib ou l’acalabrutinib) est une perspective intéressante dans un contexte d’intolérance à l’ibrutinib mais pas en cas de progression, le vénétoclax, inhibiteur de BCl2 (iBCl2) a une bonne efficace mais avec des contraintes d’administration initiale et n’est pas approprié chez tous les patients, les inhibiteurs de PI3K ont un bénéfice limité post ibrutinib et des toxicités importantes qui limitent leurs utilisation, quant aux immunochimiothérapies elles n’ont plus leur place en rechute. Farrukh T. Awan et al, (abstract #3123) présente une étude rétrospective en vie réelle dans laquelle la cohorte 2 est composée de 57 patients ayant reçus à la fois un iBTK et un iBCL2. Les traitements ultérieurs reçus étaient iBCL2 + anticorps anti-CD20 (19,3%), iPI3K en monothérapie (17,5%), ICT (14%) et iBCL2 en monothérapie (12,3%). La SG médiane était de 16,6 mois (range 11,0-27,5) et la SG estimée à 12 mois de 57,5%.

Les iBTK non convalents (iBTKnc) et les traitements par CAR T cell ont montré une activité clinique chez ces patients
« double-exposés » dans les essais cliniques. À l’ASH 2021 notamment, le pirtobrutinib, iBTKnc oral de 3ème génération très sélectif qui se fixe de manière réversible à sa cible et indépendamment de la présence ou non d’une mutation C481, avait déjà été présenté comme une option prometteuse et s’est depuis beaucoup développé dans des essais thérapeutiques à différents stades de prise en charge de la LLC, en monothérapie ou en association(8). Cette année, des mécanismes de résistance à cette nouvelle classe de médicament sont décrits dans différentes cohortes. Meghan C. Thompson et al, (abstract #4438) ont identifiés 63 patients (48 LLC, 15 Richter) ayant arrêté un iBTKnc. La SSP médiane avec la ligne de traitement suivante était de 14 mois pour les patients LLC et 6 mois pour les patients Richter (suivi médian court de 4 mois). Chez 11/15 patients LLC qui avaient bénéficiés d’un NGS en fin de traitement par iBTKnc, a été mis en évidence une nouvelle mutation du BTK et /ou la persistance de la mutation BTK C481 ou PLCG2.

L’ASH 2022 est riche en nouvelles options thérapeutiques et même si les résultats sont encore préliminaires (petites cohortes de patients, peu de recul), cela représente un bel espoir pour les patients. On note l’arrivée de nouveaux iBCL2 (le vénétoclax n’aura bientôt plus le monopole), le développement d’autres iBTKnc et des molécules ciblant toujours le BCR mais avec des mécanismes d’actions différents (tableau 1).


Dr Cécile TOMOWIAK, Poitiers.

 

Références

  1. Al-Sawaf O. et al, J Clin Oncol. 2021 Dec 20;39(36):4049-4060.
  2. Wierda WG. et al, J Clin Oncol. 2021 Dec 1;39(34):3853-3865.
  3. Tam CS. et al, Blood. 2022 Jun 2;139(22):3278-3289.
  4. Jain N. et al, N Engl J Med. 2019 May 30;380(22):2095-2103.
  5. Jain N. et al, JAMA Oncol. 2021 Aug 1;7(8):1213-1219.
  6. Condoluci A. et al, Front Oncol. 2022 Mar;12:829983.
  7. Thieblemont C. et al, EHA 2022, abstract LB2364, Hemasphere. 2022 Jun; 6(Suppl):1-4130.
  8. Mato AR. et al, Lancet. 2021 Mar 6;397(10277):892-901.

 

Auteur/autrice

Leave A Comment