Une nouvelle cible des anticorps bispécifiques dans le Myélome Multiple : le GPRC5D
MonumenTAL-1 : étude de phase 1/2 du talquetamab, anticorps bispécifique GPRC5DxCD3 chez les patients atteints de Myélome Multiple
en rechute/réfractaires.
Talquetamab, a G Protein-Coupled Receptor Family C Group 5 Member D x CD3 Bispecific Antibody, in Patients with Relapsed/Refractory Multiple Myeloma (RRMM): Phase 1/2 Results from MonumenTAL-1.
D’après la communication orale de Ajai Chari et al. Abstract #157, ASH 2022.
Contexte de l’étude
Comme dans les autres pathologies hématologiques, Les options thérapeutiques se complexifient et les patients atteints de myélome multiple (MM) en rechute sont déjà exposés voire réfractaires à la fois aux IMiDs® (thalidomide, lénalidomide, pomalidomide), aux Inhibiteurs du Protéasome (IP=bortézomib, carfilzomib) et aux anticorps monoclonaux anti CD38 (daratumumab, isatuximab).
L’immunothérapie anti BCMA (antigène de maturation des lymphocytes B) a maintenant une place bien ancrée grâce aux traitements par CAR T cells mais, malgré un accès précoce obtenu en 2021, peu de patients en France peuvent encore y prétendre. Les anticorps bispécifiques ou BiTE® (Bispecific T cell engagers), potentiellement accessibles à tous, sont sur le point de créer un nouveau paysage thérapeutique dans le traitement du MM.
Le teclistamab est le premier anticorps bispécifique anti BCMA/CD3 approuvé pour les patients en rechute/réfractaire par la Food and Drug Administration (FDA) et l’European Medicines Agency (EMA) depuis cette fin 2022 après la publication de l’essai Majes-TEC(1).
Au-delà du BCMA d’autres cibles sont déjà explorées : le GPRC5D et le FcRH5. Le GPRC5D est un récepteur transmembranaire couplé aux protéines G dont l’expression est limitée aux plasmocytes et aux follicules pileux dans les tissus normaux. C’est une cible idéale après exposition aux différents traitements anti-BCMA voire, même en association avec ces derniers.
Le talquetamab est un anticorps IgG4 anti GPRC5DxCD3 avec des taux de réponse de 64 et 70% en fonction du schéma d’administration (hebdomadaire ou tous les 15 jours)(2). A. Chari a présenté l’actualisation de l’essai MonumenTAL-1 comprenant tous les patients traités en phase 2 avec un focus sur les patients déjà exposées aux anti-BCMA (CAR T, BiTE®).
Objectifs de l’étude
L’objectif principal de décrire l’efficacité et l’innocuité des doses recommandées en phase 2 (RP2D) de talquetamab (TAL). Après une escalade de dose en phase 1, 2 schémas de dose sont évalués en phase 2 :
0,4 mg/kg/semaine et 0,8 mg/kg/15 jours. Les patients inclus dans la phase 2 devaient avoir un ECOG entre 0-2 et avoir reçu au moins 3 lignes de traitement comportant un IP, un IMiD® et un Ac anti-CD38.
Résultats de l’étude
Au total, 339 patients triple-réfractaires ont été traités selon les 2 schémas de dose. Cohorte 1 : 143 patients (naïfs de CAR T ou BiTE®) ont reçu la dose de 0.4 mg/kg par semaine en SC, 21 dans la phase 1 et 122 dans la phase 2 ;
Cohorte 2 : 145 patients (naïfs de CAR T ou BiTE®) ont reçu la dose de 0.8 mg/kg tous les 15 jours en SC, 36 dans la phase 1
et 109 dans la phase 2 ;
Cohorte 3 : 51 patients exposés aux CAR T et/ou BiTE® ont reçu la dose soit de 0.4 mg/kg hebdomadaire ou 0.8 mg/kg tous les 15 jours, 17 dans la phase 1 et 34 dans la phase 2. Les patients des cohortes 1 et 2 avaient en médiane 67 ans, avec des caractéristiques de haut risque cytogénétique (del 17p, t(4 ;14) et /ou t(14 ;16)) pour environ 30%. Ils avaient reçu en médiane 5 lignes de traitements antérieures, et environ 70% étaient penta-exposés, entre 11 et 15% avaient déjà reçu un anti- BCMA de type belantamab. La majorité étaient réfractaires à la dernière ligne (>90%), 70% triple réfractaires, et 23 à 30% étaient penta réfractaires.
Les 51 patients ayant préalablement reçu un traitement anti-BCMA (CAR-T pour 36 patients, BiTE® pour 18 patients, les 2 pour 3 patients), étaient en général plus jeunes, étaient de plus haut risque cytogénétique et avaient reçu en médiane 6 lignes de traitement antérieures. Quatre patients étaient réfractaires au belantamab.
Le taux de réponse global était similaire pour les 2 dosages et schéma d’administration : 74,1 % à la dose hebdomadaire et 73,1 % à la dose bimensuelle (figure 1).
Ces taux étaient identiques que les patients soient triple-réfractaires (72.6% : IC95%, 63.1-80.9 et 71% : IC95%, 61.1-79.6) ou penta-réfractaires (71.4% : IC95%, 55.4-84.3 et 70.6% : IC95%, 52.5-84.9). Les taux de réponse étaient également similaires dans tous les sous-groupes analysés (haut risque, ISS, nombre de lignes antérieures, exposition au belantamab) sauf pour les patients avec plasmocytomes extra-médullaires (données non montrées). La majorité des patients de la cohorte 3 a en fait reçu la dose de 0.4 mg/kg/sem. (n=43). Le taux de réponse global est de 62,7 % et semble supérieur après CAR T (72.2 %: IC95%, 54.8-85.8) qu’après anticorps bispécifique (44,4 % : IC95%, 21.5-69.2). La médiane de première réponse (n=106 dans chaque cohorte) était de 1.2-1.3 mois et la médiane d’obtention de la meilleure réponse de 2.2-2.7 mois. La médiane de durée de réponse est de 9,3 et 13 mois respectivement dans les 2eres cohortes, elle n’est pas atteinte pour les patients en RC ou mieux (n=48 et 47, respectivement), (figures 2&3). Elle est de 12.7 mois pour la cohorte 3.
Avec un suivi médian respectivement de 14.9 mois et 8.6 mois, la médiane de PFS est de 7.5 mois (IC95%, 5.7-9.4) dans la cohorte 1 et 11.9 mois (IC95%, 8.4-NE) dans la cohorte 2. La tolérance est « correcte » mais nécessite sur surveillance accrue, l’administration tous les 15 jours semblant mieux tolérée. Il n’y a pas eu de décès toxique mais 2 patients sont décédés du SARS COV 2.
Les toxicités étaient principalement infectieuses (57.3-50.3%) et hématologiques avec respectivement, anémie grade 3/4 : 31.5-24.8%, neutropénie de grade 3/4 : 30.8-22.1%, lymphopénie de grade 3/4 : 25.9-25.5%, et thrombopénie de grade 3/4 : 20.3-16.6%. Si l’on se concentre sur les infections, entre 16.8 et 11.7% des patients ont eu une infection de grade 3/4, environ 3% une infection opportuniste et une supplémentation par IvIg a été proposée chez 13.3-9.7% d’entre eux. On notera comme effet « off target » 58% de réactions cutanées-kératinocytes répondants aux topiques locaux, 50% de dysgueusies. Au niveau « immunologique », 79 % et 72,4 % des patients ont présenté un CRS, principalement de grade 1/2 ; apparaissant en médiane à J2 (écart : 1-8) pour une durée de 2 jours également (écart : 1-13/29) ; à noter une utilisation de tocilizumab chez 35-36.6 % des patients. La neurotoxicité quant à elle était plus faible, environ 11-10%, de grade 1/2. Apparaissant en médiane à J2 (écart : 1-9/16) pour une durée de 2 jours également (1-22/15) et 7 à 8 % des patients ont reçu du tocilizumab et des stéroïdes. Au total, 4.9% des patients de la cohorte 1 et 6.2% des patients de la cohorte 2 ont stoppé le traitement pour des évènements indésirables, 14.7% et 6.2% ont eu une ou plusieurs réductions de dose.
Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?
Le talquetamab ou TAL, est un nouvel anticorps bispécifique ciblant le GPRC5D, extrêmement prometteur pour les patients lourdement prétraités, et notamment pour les patients déjà exposés aux anti- BCMA. Avec des taux de réponse de plus de 70% avec un schéma SC possiblement tous les 15 jours et une durée de réponse de pratiquement 12 mois, les données de cet essai, MonumenTAL-1, ont été soumises à la FDA pour un enregistrement chez les patients atteints de myélome multiple en rechute/ réfractaire. À l’instar des agents ciblant le BCMA, le TAL provoque un CRS (majoritairement de grade1/2 avec les premières doses), des cytopénies et des infections chez la majorité des patients. Une surveillance accrue est justifiée avec monitoring infectieux et supplémentation en immunoglobulines polyvalentes. Il provoque également des EI off target tels que des modifications de la peau, des cheveux et des ongles et une dysgueusie. Une étude de phase 3 est en cours (NCT05455320) vs. « traitements approuvés », ainsi que des études de phase 1 en association notamment avec le teclistamable daratumumab, les IMiDs et/ou les inhibiteurs de check point (NCT04586426 ; NCT04108195 ; NCT05050097 ; NCT05338775).
Critique méthodologique
Il s’agit d’une étude de phase 1/2 de grande envergure dont les résultats de la deuxième partie sont présentés ici. L’intérêt de ce type d’étude est de réaliser simultanément une étude de phase 1 afin d’évaluer la toxicité, et plus précisément une escalade de dose dans cet essai, et une étude de phase 2 portant sur l’efficacité. Ainsi, cela permet de réduire la durée de développement du talquetamab. Le design ainsi que les résultats sont très clairement exposés par A. Chari.
Les patients ne sont pas randomisés, nous ne savons pas sur quel critère a porté l’inclusion dans l’une des deux cohortes. Toutefois les caractéristiques à l’inclusion sont globalement équilibrées entre ces dernières.
Comme souvent dans les présentations, les hypothèses statistiques concernant l’efficacité ne sont pas précisées ce qui limite un peu l’interprétation des résultats. Cependant étant donné l’effectif, qui inclus d’ailleurs les patients de la phase 1 (d’où l’intérêt de ce type de schéma), et avec des estimations du taux de réponse élevées, il n’y a aucun doute sur les conclusions de l’auteur. On peut regretter l’absence d’intervalle de confiance du taux de réponse globale, probablement par oubli puisqu’ils sont présentés pour les patients triple et penta-réfractaires ainsi que sur les données de survie. Enfin, la cohorte 3 portant sur les patients exposés aux CAR T et/ou BiTE® a été présentée séparément des deux premières, ce qui est une bonne chose.
Références
- Teclistamab in Relapsed or Refractory Multiple Myeloma | NEJM [Internet]. [cité 23 déc 2022]. Disponible sur: https://www-nejm-org.proxy.insermbiblio.inist.fr/doi/full/10.1056/NEJMoa2203478
- Chari A, Minnema MC, Berdeja JG, Oriol A, van de Donk NWCJ, Rodríguez-Otero P, et al. Talquetamab, a T-Cell-Redirecting GPRC5D Bispecific Antibody for Multiple Myeloma. N Engl J Med. 15 déc 2022;387(24):2232‑44.