Une triplette de durée fixe en 1ère ligne pour les patients graves
Actualisation des résultats d’une étude de phase 2 multicentrique associant acalabrutinib, vénétoclax, obinutuzumab (AVO) dans une population de patients non précédemment traités et avec une leucémie lymphoïde
chronique (LLC) à haut risque.
Updated results from a multicenter, phase 2 study of Acalabrutinib, Venetoclax, Obinutuzumab (AVO) in a population of previously untreated patients with CLL enriched for high-risk disease.
D’après la communication orale de Christine E Ryan et al. Abstract #344, ASH 2022.
Contexte de l’étude
L’association vénétoclax (V) et
obinutuzumab (O) est un traitement très efficace de la LLC en 1ère ligne(1). Il est sub-optimal chez les patients avec une LLC à haut risque même si la présence d’une del(17)p reste un facteur pronostic péjoratif en termes de survie sans progression (SSP) indépendant en analyse multivariée(2). L’ajout d’ibrutinib, un inhibiteur de BTK (iBTK), à VO chez ces patients graves a montré de très bons résultats avec une SSP et survie globale (SG) estimée à 95% à 2 ans(3), une actualisation a été présentée à l’ASH (abstract #343) : SSP à 3 ans de 80%, survie globale (SG) de 92,6%, la présence d’une del(17)p, d’un caryotype complexe et d’un statut IGVH non muté diminuent la SSP. Toutefois ces triplettes ne sont pas dénuées de toxicités notamment hématologiques (> 50% de neutropénie de grade 3) et cardiaques (>10% AC/FA), c’est pourquoi les investigateurs de cet essai ont fait l’hypothèse qu’une stratégie de traitement à durée fixe associant l’acalabrutinib (A), un iBTK beaucoup plus sélectif, à VO pourrait être efficace et mieux toléré.
Objectifs de l’étude
AVO est une étude de phase 2 multicentrique dans laquelle les patients jamais traités ont d’abord été inclus indépendamment de leur profil de risque génétique (cohorte 1, résultats publiés précédemment(4)) puis a suivi une expansion pour les patients présentant une altération de TP53 (cohorte 2) dont les résultats sont présentés à ce congrès. Le schéma de l’étude est le suivant (figure 1) : A était débuté à 100mg x 2/j pour 28j suivi de 2 cycles d’AO (O administré selon le schéma classique) puis V était ajouté à C4J1 à 20mg puis C4J2 à 50mg puis escalade de dose sur 4 semaines jusqu’à 400mg/j. AVO était ensuite poursuivi de C5 à 7 (soit 6 cycles de O au total) puis AV de C8 à15. Si l’objectif principal : obtention d’une réponse complète (RC) (critères iWCLL 2018) avec maladie résiduelle (MRD) indétectable (seuil à 10-4 par cytométrie de flux 8 couleurs et seuil à 10-6 par NGS) dans la moelle (MO), était atteints à C16J1, les patients pouvaient arrêter tout traitement, sinon AV était poursuivi pour jusqu’à C24 avec de nouveau la possibilité d’arrêter si MRD indétectable dans la MO à C25J1.
Résultats de l’étude
Au moment de l’analyse, 68 patients étaient inclus (27 dans la cohorte 1 et 31 dans la cohorte 2), le suivi médian était de 35 mois (range 2-45). L’âge médian était de 63 ans (range 36-80) dont 25% ≥ 70 ans, 60,3% avaient une altération de TP53 (del(17)p ou mutation), 26,2% un caryotype complexe (≥ 3 anomalies) et 73,5% un statut IGHV non muté.
Parmi les 56 patients évaluables à C16J1, 43% (24/56) avaient atteint l’objectif principal. Le meilleur taux de réponse globale (TRG) était de 98% (48% RC, 50% réponse partielle [RP]). Sur les 29 patients de la cohorte 2, de haut risque, évaluables à C16J1, 45% (13/29) avaient atteint l’objectif principal, le meilleur TRG était de 100% (52% RC, 48% RP). Les taux de MRD dans le sang et la moelle de l’ensemble des patients et de la cohorte 2 à C16J1 et C25J1 sont présentés dans la figure 2A et 2B respectivement. Au total, 43 patients avec une MRD indétectable ont arrêté le traitement : 21 en RC après 15 cycles et 22 en RC ou RP après 24 cycles. Avec un recul médian de 18,8 mois (range 0-30,4) après l’arrêt du traitement à C15, 4 patients ont une MRD de nouveau détectable uniquement, 1 patient a progressé de la LLC, les 3 ont repris AV et sont en RP ; 3 patients ont présenté un syndrome de Richter :
1 LMNH de haut grade B après 15 mois dans l’étude, 2 Hodgkin (l’un 13 mois après avoir terminé le traitement et l’autre après 12 mois de traitement, les 2 sont en RC. Avec un suivi médian de 35 mois, la SSP était de 92,6% et la SG de 98%.
Les effets indésirables (EI) hématologiques de tout grade comprenaient :
75% de neutropénie (37% de grade (G) 3-4), 73% de thrombopénie (28% G3-4), 49% d’anémie (3% de G3) et ceux non hématologiques étaient répartis comme suit : 78% de céphalées (1% de G3), 76% de fatigue (1% G3), 66% de contusions (toutes de G1-2), 49% de nausées (toutes de G1-2), 40% de diarrhée (4% de G3), 30% de réaction liée à la perfusion (4% de G3), 27% d’HTA (9% G3), 27% d’augmentation des ALAT (1% G3), 25% d’arthralgies (toutes de G1) et 6% d’infections de grade 3,
1 cas de pneumopathie COVID-19 G5. 2,9% (2/68) des patients ont fait une AC/FA. Au total,14 patients (21%) ont nécessité une réduction de dose soit d’acalabrutinib uniquement (n=3), soit de vénétoclax uniquement (n=6) soit des deux (n=5).
Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?
Cette triplette est très efficace en 1ère ligne de traitement des LLC avec altération de TP53 et montre qu’un arrêt de traitement guidé par la réponse peut s’envisager chez les patients avec une altération de TP53. En termes de toxicités, on retrouve les effets hématologiques attendus, surtout la neutropénie. Il y a assez peu de troubles cardiaques et d’infections ce qui est plutôt encourageant mais il faut rester prudent, les risques ne sont pas nuls et contrairement à la dichotomie jusqu’ici faite dans les études à l’ère de l’immunochimiothérapie entre patients fit et unfit, cet essai chemofree est ouvert aux 2 populations de patients. Il reste indispensable d’évaluer systématiquement et sérieusement les comorbidités de nos patients, notamment cardiovasculaires et rénales, avant de leur proposer certaines associations de traitement et ce même en dehors de tout essai clinique. Une approche de durée fixe permettra probablement de limiter les EI.
Critique méthodologique
On assiste actuellement en hémato-cancérologie à une efflorescence d’essais de phase 2, souvent non randomisées dont les résultats apparaissent le plus souvent « intéressants ». En pratique, un essai de phase II est là pour fournir une information pertinente sur un critère de jugement intermédiaire dont la validité est reconnue comme signal de l’intérêt d’un développement ultérieur, en général dans le cadre d’un essai de phase 3 randomisé. Ces essais de phase 3 ont comme critère de jugement principal un critère dépendant du temps (souvent la survie sans progression ou PFS, l’EFS ou survie sans événement, idéalement – mais exceptionnellement – la survie globale ou OS).
L’essai présenté ici est non randomisé, donc non comparatif ; on ne peut donc conclure que le traitement est meilleur qu’un autre. Dans le contexte des patients atteints de LLC dits à haut risque, nous sommes loin de la maladie rare ou orpheline ; il est donc aisé de déterminer un traitement de référence auquel ces patients auraient pu être comparés dans le cadre d’un essai randomisé et fournir aux cliniciens un résultat permettant de mesurer l’éventuel bénéfice de cette triple association. Par ailleurs, les résultats présentés ne mentionnent pas d’hypothèses statistiques a priori. Toute conclusion est donc difficile à formuler
Références
- Al-Sawaf O. et al. Lancet Oncol. 2020; Sep;21(9):1188-1200.
- Tausch E. et al. Blood. 2020; Jun;135(26):2102-2412.
- Huber H. et al. Blood, 2022. Mar;139(9):1318-1329.
- Davids MS. et al. Lancet Oncol. 2021.Oct;22(10):1391-1402.