Essai transformé pour l’asciminib en 3ème ligne !
Présentation des données d’efficacité et sécurité de l’étude de phase 3 ASCEMBL comparant l’asciminib au bosutinib chez les patients LMC en phase chronique déjà traités par au moins 2 ITKs.
Efficacy and safety results from ascembl, a phase 3 study of asciminib vs bosutinib in patients with chronic myeloid leukemia in chronic phase after ≥2 prior tyrosine kinase inhibitors: wk 96 update.
D’après la communication orale de D Réa et al. Abstract #S155, EHA 2022.
Contexte de l’étude
Pour le traitement des patients LMC-PC en 3ème ligne et plus, l’asciminib a montré, dans l’essai ASCEMBL, sa supériorité par rapport au bosulif en termes d’efficacité (MMR à la semaine 24 [critère de jugement principal] de 25.5% vs.13.2%) et de tolérance. Les données présentées cette année à l’EHA sont actualisées avec un suivi supplémentaire de 16,5 mois.
Objectifs de l’étude
L’étude ASCEMBL est une étude de phase 3 randomisée 2:1 comparant asciminib 40 mg 2 fois par jour à bosulif 500 mg par jour avec une stratification sur le statut de la LMC à l’inclusion en termes de réponse cytogénétique majeur (RCyM). Un objectif secondaire clé de l’étude ASCEMBL est le taux de MMR à la 96ème semaine. Les patients inclus dans cette étude sont des patients soit résistants à ≥ deux ITK, soit intolérants à ≥ deux ITK avec un ratio BCR::ABL1/ABL1 < 0.1% .
Résultats de l’étude
Au total, 157 patients ont été inclus dans le bras asciminib et 76 dans le bras bosutinib. À la date butoir de collecte des données (06/10/2021), le traitement est respectivement poursuivi pour 53,5% des patients (n=84) et 19,7% (n=15). Le traitement a été respectivement suspendu pour un manque d’efficacité pour 38 (24,2%) et 27 (35,5%) et pour AE pour 11 (7%) et 19 (25%). À la 96ème semaine, avec un suivi médian de 2,3 ans, le taux de MMR (perITT) est de 37,6% pour asciminib et de 15,8% pour bosutinib. Après ajustement sur la présence ou non d’une RCyM à l’inclusion la différence est de 21,7% (IC 95% 10,5-33%). Le bénéfice de
l’asciminib en termes d’obtention d’une MMR s’observe dans tous les sous-groupes analysés : patients résistants ou intolérants, nombre de lignes antérieures, ratio BCR::ABL1/ABL1 > ou < à 1% à l’inclusion. La courbe d’incidence cumulée de MMR, élaborée en considérant qu’un patient sortant de l’essai sans MMR est un évènement compétitif, illustre la supériorité de l’asciminib (figure 1).
Les auteurs rapportent une EFS à 2 ans de 57,4% versus 25,2%. Parmi les patients stoppant le traitement pour un manque d’efficacité 22 (56,4) et 20 (66,7%) patients ne présentaient respectivement pas de mutation à la sortie de l’étude (analyse en Sanger). Une émergence de mutations a été rapportée pour 10 patients dans le bras asciminib et deux dans le bras bosutinib (une T315I et une V299L). Les mutations apparues sous asciminib impliquent la poche de myristoylation ainsi que le site de liaison à l’ATP, l’émergence d’une mutation T315I sous asciminib s’explique probablement par une posologie insuffisante sur un clone qui préexistait en deçà de la limite de détection en Sanger. La tolérance au traitement est nettement meilleure sous asciminib avec une durée d’exposition médiane triple, une incidence d’AE de grade ≥3 de 56,4% versus 68,4%, un arrêt pour AE de 7,7% versus 42,3% (figure 2). Les effets indésirables les plus fréquents conduisant à la suspension du traitement sont hématologiques pour
l’asciminib (thrombopénie et neutropénie survenant en majorité au cours des 6 premiers mois) pour asciminib et neutropénie et élévation ALAT pour bosutinib. Le taux ajusté à l’exposition des évènements vasculaires occlusifs est faible et similaire dans les 2 bras (environ 3 par 100 patients –années).
Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?
Avec un suivi médian de 2,3 ans, les résultats de l’essai ASCEMBL montre à la fois l’efficacité et la sécurité de
l’asciminib chez des patients LMC-PC pris en charge en 3ème ligne et au-delà avec 53,5% des patients du bras asciminib demeurant sous traitement comparativement à 19,7% dans le bras bosutinib. Le choix du traitement comparateur reste discutable, l’administration du bosutinib à la dose de 500 mg par jour a entraîné 3 fois plus d’arrêt pour effet indésirable. Il est cependant très clair que l’asciminib va occuper une place croissante dans l’arsenal thérapeutique de la LMC compte tenu du très bon profil de tolérance.
Critique méthodologique
L’histoire ressemble à un essai de phase 3 plutôt classique, visiblement sans double-aveugle, comparant la molécule d’intérêt l’asciminib versus bosutinib, avec la possibilité notable pour ce bras contrôle de switcher pour l’asciminib si manque d’efficacité. Pour la randomisation, le ratio 2:1 n’est pas courant mais pas forcément utile. Ce choix de ratio est un pari parfois risqué. D’autres essais déjà vu avec ce ratio beaucoup trop optimiste ont pu causer des pertes de chance pour les patients issus de bras expérimentaux. Heureusement le taux de réponse moléculaire majeure (MMR) est supérieur pour asciminib avec 25,5% contre seulement 13,2% pour le bras bosutinib. Même constatation pour le critère secondaire plus lointain, à 96 semaines (moins de deux ans après début du traitement) avec le même effectif, le taux progressant à 37,6%. Ces résultats se retrouvent naturellement sur la courbe d’incidence cumulative de RMM qui résume l’évolution de la réponse au fil du temps dans les deux bras, en tenant compte des arrêts de traitement comme risque compétitif pour éviter de surestimer les résultats obtenus. Les résultats sur la RM4.5 allaient également dans le même sens.
Il reste regrettable que ne figure pas dans cette présentation une information aussi indispensable qu’est le descriptif comparatif des variables baseline entre les deux bras, et ce, afin de s’assurer du bon fonctionnement de la randomisation (autrement dit : une absence de facteurs confondants). Ce qui manque également à ce type d’étude, est de regarder de manière exploratoire l’impact du switch de traitement pour le bras contrôle, car aux vues des données de cette étude, 34% des patients du bras contrôle sont passés du bosutinib à l’asciminib durant leur suivi, cela pouvant impacter (bénéfiquement) les endpoints à moyen-terme et long-terme comme les réponses moléculaires, la survie, etc. C’est un constat général que l’on observe dans ce type d’essai car dès lors où il y a un switch, il faudrait garder cette information à l’esprit, bien que les bras restent évidemment comparables ; l’effet d’un traitement en tant que tel par rapport à un autre peut être mésestimé. Là encore, on peut se référer à d’autres essais similaires où le critère secondaire de survie globale n’a pas été atteint car des patients du groupe contrôle ont vu leur courbe de survie « rehaussée »
suite à des switch. Ici pour ne souffrir d’aucune ambiguïté, c’est l’event-free survival (EFS) qui a été judicieusement représentée, un outcome composite crucial pour la LMC spécifiquement composé des événements de décès, de passage en phase blastique ou accélérée, ainsi que du manque d’efficacité et de l’arrêt de traitement pour événement indésirable. Sur ce point, sans surprise, l’asciminib bénéficie d’un risque d’EFS divisé par deux (HR=0.42) comparé au bosutinib.