LMC en phase accélérée : ITKs versus imatinib en 1ère ligne : quel impact ?

Publié le : 17 octobre 2022Tags:

Les inhibiteurs de tyrosine kinase de 2ème génération sont-ils un meilleur traitement que l’imatinib pour les patients LMC en phase accélérée au diagnostic ?

Is the second-generation tyrosine kinase inhibitor a better therapy than imatinib for persons with chronic myeloid leukemia presenting in accelerated-phase?

D’après la communication affichée de Zhang et al. Abstract #P722, EHA 2022.

Contexte de l’étude

Selon Hoffmann et al., 3,5% des patients sont en phase accélérée (PA) au diagnostic de la LMC (Hoffmann VS et al., Leukemia 2015). Les dernières recommandations ELN n’ont pas modifié la définition de la PA qui diffère selon les sociétés savantes avec 4 classifications majeures utilisées dans le monde (tableau 1).
Les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) ont révolutionné le traitement des patients LMC en PA, en particulier pour les PA de novo, mais les taux et les durées de réponse restent inférieurs aux patients en PC. Selon l’ELN, les patients LMC en PA au diagnostic sont à considérer à haut risque, les données de la littérature concernant l’initiation d’un ITK de 2èmegénération (ITK2G) en première intention sont cependant limitées, de même que l’exploration d’éléments pronostiques associés.

Tableau 1 : critères de classification de la LMC en phase accélérée en fonction de chaque groupe d’experts.

Objectifs de l’étude

Zhang et al., ont mené une étude prospective sur une cohorte de patients LMC en PA selon le MDACC et une autre selon l’ELN afin d’évaluer le bénéfice d’un traitement initial par ITK2G par rapport à l’imatinib (IMA). Ils ont pratiqué une analyse par score de propension pour comparer les résultats en termes de réponses cytogénétiques, moléculaires, de FFS (pour failure free survival), de PFS (pour progression free survival) et de survie globale (OS pour overall survival) entre les patients recevant un traitement initial par IMA et ceux traités par ITK2G. Le modèle de régression multivarié de Cox a été utilisé pour rechercher des covariables pronostiques.

Résultats de l’étude

Dans la cohorte définie selon les critères du MDACC (n=325), l’analyse des scores de propension montre un bénéfice des ITK2G (n=89) par rapport à l’IMA (n=156) en termes de probabilité d’obtention d’une réponse cytogénétique complète (RCyC), d’une MMR (pour major molecular remission) et d’une réponse moléculaire profonde de type MR4.5, en revanche aucune  différence n’a été mise en évidence en termes de FFS, PFS et OS. Le modèle de Cox met en évidence qu’avoir un taux plus bas de plaquettes et plus élevé de blastes sanguins ou médullaires impacte négativement les résultats de FFS, PFS, et d’OS (figure 1).

Figure 1 : analyse multivariée des variables de la cohorte de LMC en PA définie selon les critères du MD Anderson.

Afin d’évaluer l’impact du traitement par ITK sur les résultats observés de manière plus robuste, les auteurs ont identifiés via une analyse ROC deux facteurs pronostiques, à savoir un taux de plaquettes < 600G/L et une proportion de blastes sanguins/médullaires ≥ 5%, permettant de définir 3 groupes de risque (faible n=57, intermédiaire n=127 et élevé n=61) bien distincts en termes de FFS, PFS et OS (figure 2).

Figure 2 : probabilités de survie sans échec, sans progression et globale en fonction de la classification en sous groupes de risque (faible, intermédiaire et élevé) établie à partir des covariables ; platelets < 600 × 10E+9/L and blood / bone marrow blasts ≥ 5%.

Dans chaque sous-groupe de risque, les patients traités par ITK2G ont une probabilité supérieure d’obtenir une RCyC, une MMR et une MR4.5 par rapport aux patients recevant de l’IMA en revanche aucune différence en termes de FFS, PFS et OS. Des résultats comparables ont été obtenus avec la cohorte des patients définie selon les critères ELN.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Pour les LMC en PA au diagnostic, selon les données de la littérature, l’imatinib permet d’obtenir 60 à 80% de RCyC et 40 à 60% de MMR (Ohanian et al., Clin Lymphoma Myeloma Leuk 2014 ;
Réa et al., Leukemia  2012) tandis que les taux de RCyC et de MMR sont de respectivement 90% et 78% avec nilotinib
et dasatinib selon Ohanian et al. En 2018, Balsat et al., en collaboration avec le groupe français Fi-LMC ont rapporté les résultats d’une étude observationnelle rétrospective nationale ayant inclus 66 patients LMC en PA nouvellement diagnostiqués et traités par ITK2G en 1ère ligne montrant d’excellents taux de réponse et de survie (OS à 7 ans de 87,14%), le seul critère pronostique en termes d’OS identifié étant le pourcentage de blastes + promyélocytes médullaires.

L’étude chinoise présentée ici confirme l’impact des ITK2G sur les taux de réponse cytogénétique et moléculaire obtenus chez les patients LMC en PA, qui ne se traduit cependant pas en termes de PFS et OS. Les recommandations d’experts émises au dernier congrès de l’ASH plaident pour une utilisation préférentielle des ITK2G en 1ère ligne, cette recommandation mérite d’être affinée à la lumière d’une meilleure définition d’une part et stratification pronostique d’autre part des LMC en PA au diagnostic. Le travail de Zhang et al., a le mérite d’avoir cherché à identifier des facteurs pronostiques présents au diagnostic.

Critique méthodologique

Ce n’est certes pas un essai clinique, mais une étude prospective sur une population de patients de LMC exclusivement en phase accélérée (PA) ; ce n’est pas courant, surtout de cette taille. Deux cohortes ont été étudiées, l’une dont la PA est définie selon les recommandations de la MDACC, l’autre celles de l’ELN (les critères sont très proches, celles de la MDACC intégrant en plus la présence de splénomégalie). Les résultats présentés sont ceux de la cohorte MDACC, les auteurs indiquant qu’ils retrouvaient des conclusions similaires pour celle avec ELN, sans plus de précision.

La première étape pour avoir des interprétations robustes dans les analyses comparant les deux traitements d’intérêt, est d’ajuster les estimations des risques en fonction des facteurs de confusions (qui ne sont pas précisés). Pour ce faire, un score de propension a été utilisé pour ajuster l’effet de l’ITK2G par rapport à l’imatinib pour les analyses des différents niveaux de réponse moléculaire et les différentes survies. Il n’y a toutefois pas d’indication permettant de savoir si ce score a été utilisé comme co-variable d’ajustement ou comme élément de pondération, ni le type de régression utilisée pour étudier les réponses moléculaires (logistique, Cox, Fine & Gray ?).

Des analyses multivariées sur la survie ont permis de détecter deux variables indépendantes du traitement ayant un impact pronostic sur l’OS, la PFS et la FFS : pourcentage de blastes et niveau plaquettaire. Il n’y a pas plus de précisions quant à la méthode de pré-sélection des variables pour ces modèles (suivant un seuil spécifié de p-value en univarié ? Passage par un algorithme de sélection de type stepwise ?). Les auteurs indiquent que des seuils de plaquettes et de blastes ont été choisis sur la base d’AUC (l’aire calculée sous la courbe ROC) pour discriminer les événements de survie. Des statistiques comme la concordance (ou c-index) ou une AUC temps-dépendante aurait permis d’avoir une idée de la valeur pronostic des modèles multivariés avant d’établir un score pronostic. Ce score a été catégorisé en trois groupes de patients, selon qu’ils présentent :  aucun ; au moins un ; ou les deux facteurs de risque sur la survie. Une alternative plus fine est de créer un score basé sur les risques issus d’un modèle multivarié sur un outcome précis, puis d’en déterminer les meilleurs seuils discriminants avec divers outils statistiques. Cependant, étant donné que l’utilité ici est de l’appliquer à trois types de survie, le caractère additif du score proposé semble un bon compromis.

Pour aller plus loin, les auteurs ont regardé dans chacun des 3 sous-groupes de risque si l’on retrouvait l’effet bénéfique de l’ITK2G sur les réponses moléculaires, ce qui était apparemment le cas. En revanche, si les auteurs stipulent avoir retrouvé des résultats similaires sur la cohorte ELN, ils n’ont pas saisi l’opportunité de s’en servir de cohorte de validation externe ; ce qui est compréhensible car la définition de la PA est légèrement différente.

Auteur/autrice

  • Emilie CAYSSIALS

    Hématologue, MCU-PH.
    Expertises : SMP.
    Liens d'intérêts : Incyte Biosciences, Novartis.
    Correspondance : CHU de Poitiers.
    Pôle régional de cancérologie. 2 rue de la Milétrie, 86021 POITIERS, France.

Laisser un commentaire