Ritux, Léna et Benda sont dans un follicule, qui tombe à l’eau ?

Publié le : 2 janvier 2024
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Rituximab-lénalidomide ou rituximab-lénalidomide-bendamustine chez les patients avec un Lymphome Folliculaire en rechute/réfractaire, analyse de l’essai de phase 2 randomisé HOVON110/Rebel.

Lenalidomide-Rituximab or Lenalidomide-Rituximab-Bendamustine in Patients with Relapsed/Refractory Follicular Lymphoma: Primary Analysis of the Randomized Phase II HOVON110/Rebel Trial.

D’après la communication orale de Kersten M.J et al. Abstract #950, ASH 2022.

Contexte de l’étude

À l’ère des CAR T cells et plus encore des bispécifiques, on peut se demander pourquoi avoir sélectionné cet abstract. Il s’intègre surtout dans la démarche de nos « Regards croisés » plus que par son apport médical, par son design de phase 2 « randomisée », et les co-
objectifs primaires : amis ou ennemis des avancées thérapeutiques ? Le traitement de rechute des patients atteints de LF en rechute/réfractaire n’est pas monolithique, en particulier en considérant les traitements préalablement reçus, les durées de rémission, l’âge du patient, la disponibilité d’essais, etc. Au sein de ces options, l’association rituximab-lénalidomide tient une place importante pour ces patients(1), et sa combinaison avec d’autres molécules pourrait permettre d’améliorer les résultats selon les auteurs. 

Objectifs de l’étude

L’essai est une phase 2 randomisée prospective évaluant la combinaison de bendamustine avec le traitement R² (Ritux-Léna). La dose retenue de lénalidomide est de 20mg J3-J21, et la bendamustine est dosée à 90mg/m² J1-J2. Les patients (LF>17ans, moins de 6 lignes de traitements) ne devaient pas être réfractaires au rituximab (ne pas avoir rechuté dans les 6 mois d’un traitement contenant du rituximab). Les patients recevaient un schéma « court » de combinaison : 6 cycles, puis 2 ans de maintenance par rituximab. L’objectif primaire conjoint était l’objectivation de la réponse complète (morphologique et métabolique) et la non-survenue de toxicités sévères à l’issue de l’induction. Ces toxicités sévères étaient définies par le décès, les toxicités non hématologiques de grade >2, les toxicités hématologies de grade >3). L’effectif calculé était identique entre les deux bras avec une démonstration attendue de RC>35% et une toxicité sévère de <20% (α=0.1), soit 68 patients par bras. 

Résultats de l’étude 

L’étude ne s’est pas terminée par défaut de recrutement ! Il n’y a eu que 44 et 46 patients dans les bras R² et R²B respectivement. La majorité des patients étaient en 2ème ligne de traitement (75%), avec des scores FLIPI>=2 dans plus de 80% des cas. 

Les taux de complétion de traitement d’induction ont été assez similaires (80 et 76%). Les toxicités, comme attendu, ont été plus importantes dans le bras R²B (environ 10% de plus de fréquence pour l’ensemble des toxicités de grade >1), et cet excès de toxicités s’est répercuté de façon beaucoup plus significative au cours de la maintenance : 30% d’infection grade 2/3 contre 10% pour le bras R².

En termes de réponses, le taux de réponse complète métabolique à 6 cycles était similaire entre les deux bras, 48 et 50% pour les bras R² et R²B, de même que les taux de réponse globale morphologique, 64 et 63%, figure 1.

Figure 1 : réponses entre les bras R² et R²B, évaluées par scanner et TEP-scanner.

En termes de survie, avec un suivi médian de 4 ans, la Survie Sans Evènement (SSE) à 48 mois était de 39% pour les patients R² et 61% pour les patients R²B (figure 2), ce qui se traduisait par des taux de non-reprise de traitement de 41 et 61%, respectivement. Le bras R²B avait une survie de plus de 80% à 4 ans, tandis que le bras R² avait une survie de moins de 75% à 4 ans. Les 11 décès du bras R² ont été des progressions dans 8 cas (et 3 toxicités), tandis que les 5 décès du bras R²B étaient dus à la progression pour 3 d’entre eux.

Figure 2 : survie sans évènement (suivi médian 48m).

 

 

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Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Conclure d’après les résultats d’une étude close prématurément est toujours compliqué, surtout avec un design randomisé de phase 2. Celle-ci n’y échappe pas, l’élément le plus marquant est l’absence de différence de rémission complète métabolique en fin d’induction avec cependant une séparation assez nette des courbes de SSE sans que l’on puisse comprendre exactement pourquoi, avec environ 50% des évènements dans les 12 premiers mois pour les deux bras. Les auteurs ont présenté l’impact de l’obtention de la RC métabolique en fin d’induction, avec des courbes de survie « plates » jusqu’à 4 ans pour ces patients, cependant, les courbes de SSE auraient été intéressantes pour mieux comprendre la différence entre les deux bras de traitement. La combinaison R²Benda ne se fait pas sans toxicité, surtout remarquée en phase de maintenance, cependant, elle possède des arguments en termes de contrôle à moyen terme de la pathologie, probablement accessible pour certains patients sélectionnés.

 

Critique méthodologique

Cette phase 2 n’a pas un seul bras de traitement d’évalué mais 2 : rituximab-lénalidomide sans (R²) et avec bendamustine (R²B). Et cet essai est randomisé, avec stratification sur le score FLIPI et antécédents médicaux (dont prise de bendamustine). Le calcul du sample size rappelle que nous sommes dans le cadre d’un essai de phase 2, ce sont des critères d’efficacité et de safety qui ont conduit au calcul de 68 patients à inclure par bras. En aucun cas il est question d’étudier l’apport de la bendamustine ! Quel intérêt d’avoir randomisé sinon ? 

Première déconvenue : le nombre de patients est de respectivement 45 et 43 dans les bras randomisés, soit, moins que prévu. L’essai a été stoppé pour cause d’un recrutement trop lent. Les données ont quand même été exploitées. Les décomptes des événements indésirables sont bien décrits en chiffres et sous forme d’histogrammes, de même pour les taux de réponse. À chaque fois en mettant côte à côte R² et R²B, afin d’observer qui fait mieux. Mais qu’en est-il du co-objectif primaire d’efficacité et de sécurité ? Aucune réponse n’est tranchée alors voici des éléments de réponse. Il était question au départ de montrer 1) l’obtention d’un taux de réponse complète d’au moins 35% et 2) moins de 20% de patients avec au moins 1 événement sévère de toxicité. Difficile de répondre au critère d’efficacité (figure 1) au 6e cycle, cela dépend si on part des données de CT (non) ou PET-CT (oui). A priori ce sont les données de CT qui prévalent d’après la définition de l’endpoint primaire. Autre point qui rend les résultats flous : les taux sont calculés en ITT. Or on observe des proportions différentes de patients avec une réponse « not done » (en gris) d’un cycle et d’un bras à l’autre. Concernant la toxicité, après calcul du pourcentage de patients avec au moins 1 évènement d’intérêt, on avoisine plutôt les 33% et 25% pour R² et R²B respectivement. En conclusion, il est impossible de qualifier cet essai de positif au regard des co-objectifs primaires. 

Arrivent ensuite les courbes d’EFS (event-free survival) en particulier, sans spécifier quels sont les événements composites : décès, rechute, mais les autres ? L’EFS est un outcome un peu hétérogène nécessitant des précisions car il peut varier d’une étude ou d’une pathologie à l’autre. On observe sans ambigüité la supériorité de R²B par rapport à R², sans afficher de tests idoines (log-rank). Cela peut se justifier par le fait que cet essai n’est pas designé pour analyser l’effet de la bendamustine. 

En proposant un double essai de phase 2 (ou faux essai de phase 3 ?), les choses sont faites à moitié, à triple titre : moins de recrutement que prévu, pas de conclusion claire sur les objectifs principaux et pas de comparaison statistique possible entre R² et R²B. Une cascade qu’il faudra éviter de reproduire à l’avenir afin d’éviter une certaine frustration.

 

Référence

  1. Leonard, John P., Marek Trneny, Koji Izutsu, Nathan H. Fowler, Xiaonan Hong, Jun Zhu, Huilai Zhang, and al. 2019. « AUGMENT: A Phase III Study of Lenalidomide Plus Rituximab Versus Placebo Plus Rituximab in Relapsed or Refractory Indolent Lymphoma ». Journal of Clinical Oncology 37 (14): 1188‑99. https://doi.org/10.1200/JCO.19.00010.

Auteurs/autrices

  • Benoit TESSOULIN

    Hématologue, PH.
    Expertises : Lymphopathies B.
    Liens d’intérêts au 01/12/2023 : Gilead/Kite, Abbvie, Lilly.
    Liens d’intérêts au 01/10/2023 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
    Correspondance : Service d'Hématologie Clinique CHU de Nantes, Place Alexis Ricordeau, 44000 Nantes, France
    benoit.tessoulin@chu-nantes.fr

  • Stéphane MORISSET

    Biostatisticien.
    Domaines d'expertise : essais cliniques.
    Liens d'intérêts au 06/03/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
    Liens d'intérêts au 01/01/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêt.

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